La régulation du secteur de la sécurité privée étrillée par la Cour des comptes
La régulation du secteur de la sécurité privée étrillée par la Cour des comptes
Par Julia Pascual
Les magistrats critiquent particulièrement le Conseil national des activités privées de sécurité, l’autorité chargée notamment du recrutement des agents.
C’est un coup de semonce que la Cour des comptes adresse au secteur de la sécurité privée. Alors que l’Etat confère à ses entreprises toujours plus de missions et étend progressivement les pouvoirs de leurs agents, l’institution critique l’absence de pilotage de cette dynamique et s’alarme de la régulation « lacunaire » du secteur face à des risques patents en matière de moralité et de fraude. Dans son rapport annuel qui doit être rendu public mercredi 7 février, elle tire à boulets rouges sur le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), autorité de régulation qui n’est « pas à la hauteur des attentes ».
Le secteur de la sécurité privée jouit d’une croissance forte mais demeure éclaté en une myriade de sociétés, peu rentables, se livrant une « concurrence sévère » entre elles. Celles-ci pratiquent notamment un dumping social grâce à une variable d’ajustement : une main-d’œuvre « volatile, très peu qualifiée et mal rémunérée ». Pourtant, l’Etat n’a eu de cesse de déléguer des missions au privé comme la surveillance de bâtiments publics.
En dix ans, près de 600 équivalents temps plein ont ainsi été externalisés. Lundi 5 février, lors des 5es Assises de la sécurité privée, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a réitéré son souhait de poursuivre ce mouvement, citant l’exemple de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme du 30 octobre 2017, qui donne aux agents de sécurité des pouvoirs de palpation et de fouilles lors d’événements sportifs ou culturels.
Doutes sur la fiabilité des enquêtes administratives
Pour la Cour des comptes, ce mouvement nécessite la mise en place urgente d’une « doctrine d’emploi ». « Il est aussi de (l)a responsabilité [de l’Etat], en tant qu’acheteur, d’être vigilant sur la qualité des prestations demandées en ne retenant pas le prix comme seul critère d’attribution des marchés publics », écrit la Cour, alors que la commande publique pèse pour un quart du chiffre d’affaires du secteur.
C’est surtout le CNAPS qui reçoit un carton rouge. Mis en place en 2011 et doté d’un pouvoir de police administrative, il est peu investi par l’Etat malgré son statut d’établissement public. « La préfète désignée en 2015 comme personnalité qualifiée n’a jamais siégé et la présence de certains représentants de l’Etat [au Collège], peu concernés par les missions du CNAPS, manque de régularité », tance la Cour. Ses inquiétudes portent en particulier sur la principale mission du CNAPS de délivrance des cartes professionnelles permettant aux agents du privé d’exercer. Plus de neuf demandes sur dix sont satisfaites, remarque la Cour, qui doute de la fiabilité des enquêtes administratives diligentées au préalable.
L’aptitude professionnelle des demandeurs de la carte ne lui apparaît pas suffisamment enquêtée – malgré des risques de fraude avérés dans le secteur de la formation. Elle critique en particulier une « appréciation trop indulgente de la moralité » des demandeurs. Des antécédents judiciaires tels que la conduite sans permis, la détention de cannabis, les violences conjugales, l’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ou encore l’escroquerie sont admis.
La Cour a ainsi relevé qu’une personne avait obtenu une carte malgré 31 mentions au casier dont des faits de violences, d’agression sexuelle ou encore un délit de fuite. Elle s’alarme aussi des risques de fraude pesant sur les agents du CNAPS : en 2017, l’un d’eux aurait ainsi modifié contre rémunération des extractions de fichiers de police d’antécédents judiciaires. Dans sa réponse à la Cour, le CNAPS précise qu’il s’agit d’un cas « unique » parmi les 384 agents recrutés depuis 2012.
« Manquements déontologiques »
Pour compléter la sévérité de son constat, la Cour regrette le faible pouvoir disciplinaire du CNAPS, notamment parce qu’il ne s’applique pas aux entreprises et aux administrations qui passent des marchés avec les sociétés de sécurité privée et qui parfois incitent à des pratiques frauduleuses.
Quant aux prestataires sanctionnés, un tiers des entreprises interdites temporairement d’exercer « poursuivaient leur activité » en 2017 (ce qui pourrait changer, compte tenu de la mise en place d’une incrimination pénale en cas de non-respect de l’interdiction). Et moins d’un tiers des sanctions financières infligées entre 2012 et 2016 ont été recouvertes. En cas de manquement grave relevé, les signalements au parquet demeurent quasi nuls. C’est un « obstacle majeur à (l’)assainissement [du secteur] », assène la Cour.
Les magistrats critiquent enfin « les manquements déontologiques » des commissions disciplinaires du CNAPS, dans lesquelles siègent des représentants du secteur, même en cas de conflit d’intérêts avec les personnes mises en cause. « Trois contrôleurs du CNAPS ont fait l’objet d’un avertissement pour avoir diligenté un contrôle dans un centre de formation (…) afin de régler un différend personnel », s’alarment les magistrats qui, à l’issue de leur rapport, considérant nécessaire de mener une « réflexion » sur l’avenir du CNAPS.