Michel Barnier, à Bruxelles, le 9 février. / Geert Vanden Wijngaert / AP

A moins de quatorze mois du Brexit, programmé pour le 29 mars 2019, l’incapacité de la première ministre britannique, Theresa May, à définir la nature des futures relations qu’elle souhaite entre Londres et l’Union européenne (UE) exaspère Bruxelles et ravive les tensions.

Le Royaume-Uni doit accepter « les conséquences inéluctables » de son départ, a déclaré le Français Michel Barnier, négociateur en chef des 27, lors d’une conférence de presse, vendredi 9 février, à Bruxelles.

Après deux journées de discussions internes, le gouvernement britannique devait faire connaître ses choix sur le dossier censé être le plus simple : la période de transition qui, à la demande de Londres doit, pendant vingt-et-un mois, maintenir un statu quo afin d’éviter un choc brutal et permettant de négocier un futur accord commercial. Les milieux patronaux britanniques manifestent une impatience croissante devant l’incertitude.

Mais Downing Street, paralysé par les positions irréconciliables des différents ministres conservateurs, n’a fait aucune déclaration formelle. Cette période de transition « n’est pas acquise », a averti Michel Barnier, jetant un froid qui a fait plonger la livre sterling.

Le représentant des 27 a dit éprouver « des difficultés à comprendre » les réticences de Londres « puisque c’est le Royaume-Uni lui-même qui a demandé une période de transition ». Entre mars 2019 et la fin 2020, le Royaume-Uni, formellement sorti de l’UE, sera exclu des décisions, mais il devra continuer à respecter les règles européennes, contrepartie de son souhait de continuer à accéder au marché unique.

Priver de certains droits sociaux les Européens

Pour apaiser ses ministres europhobes, qui assimilent cette situation à une « vassalisation » du pays, Mme May demande des aménagements. Elle souhaite priver de certains droits sociaux les Européens qui entreront au Royaume-Uni après le 29 mars 2019.

Londres souhaite, en outre, pouvoir s’opposer à de nouvelles règles européennes qu’elle estimerait contraire à ses intérêts. Enfin, à l’inverse, le Royaume-Uni veut pouvoir bénéficier des nouvelles initiatives de l’UE en matière de justice et de police, comme la coopération transfrontalière pour traquer les criminels. « J’ai quelques difficultés à comprendre, pour être parfaitement honnête », a indiqué M. Barnier, rappelant que Londres veut rompre complètement à partir de 2021.

Jeudi, le ton était monté entre Londres et Bruxelles lorsque David Davis, ministre du Brexit, avait mis en cause la « bonne foi » des négociateurs européens et leur tactique « discourtoise », à la suite de la publication dans la presse d’un document de l’UE prévoyant la possibilité de sanctions contre Londres en cas de non-respect des règles européennes pendant la transition.

Pour M. Barnier, cette précaution ne fait que suivre la « logique » qui veut que l’accès au marché unique ne soit autorisé pendant vingt-et-un mois supplémentaires que sous conditions. « Honnêtement, il n’y a pas de volonté de punir », a-t-il ajouté en réponse aux accusations selon lesquelles il chercherait à ralentir les négociations pour accentuer la pression sur Londres.

L’impasse sur la question de la frontière irlandaise alimente aussi la tension. L’UE a fait savoir aux Britanniques que le projet d’accord sur le Brexit prévoirait le maintien de l’Irlande du Nord (rattachée au Royaume-Uni) dans le marché unique européen et l’union douanière. Précisément ce que Mme May exclut pour le Royaume-Uni. La décision de Londres de quitter le marché unique « rendrait les contrôles à la frontière inévitables », a indiqué M. Barnier, rappelant que l’UE est garante des accords de paix en Irlande, qui seraient remis en cause par le rétablissement d’une frontière.

Quitter le marché unique sans rétablir de frontière

La question irlandaise illustre le plus crûment la contradiction de la position britannique : quitter le marché unique (pour satisfaire les europhobes) sans rétablir de frontière (pour préserver l’économie). Mais cette quadrature du cercle concerne en réalité l’ensemble du pays. Incapable, et pour cause, de résoudre l’équation, Mme May est réduite à répéter des formules creuses comme son souhait d’établir « un partenariat approfondi et privilégié » avec l’UE.

Illustration de cette schizophrénie montante, une « note technique » rendue publique vendredi par le Financial Times demande aux pays partenaires des quelque 700 accords de coopération signés par l’UE de considérer le Royaume-Uni comme restant membre de l’UE pendant la période de transition, c’est-à-dire après le Brexit. Alors que Londres souhaite pouvoir continuer de bénéficier de ces textes, qui couvrent des domaines aussi variés que le transport aérien, l’échange de données ou les droits de pêche, les pays tiers, eux, ne seront plus liés à un Etat qui aura quitté l’UE. Confronté au cauchemar qui consisterait à négocier individuellement ces traités, Londres souhaite que les pays tiers acceptent d’inclure le Royaume-Uni à chaque mention de l’expression « Etat membre de l’UE » dans ces textes. Une contorsion qui contredit une autre antienne de Mme May : « Brexit veut dire Brexit ».