TV – « Minority Report »
TV – « Minority Report »
Par Samuel Blumenfeld
Notre choix du soir. Steven Spielberg signe un grand film de science-fiction, adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick (sur OCS Max à 20 h 40).
Minority Report - Bande Annonce
Durée : 02:00
Nous sommes en 2054. Dans le cadre d’un programme expérimental cantonné au seul district de Washington, le ministère de la justice peut arrêter les criminels avant leur passage à l’acte. Des jumeaux et une jeune fille, Agatha, baptisés « précogs » en raison de leurs pouvoirs médiumniques, sont gavés de drogues synthétiques et isolés dans une piscine sous le regard attentif de la brigade « précrime », qui guette leurs prédictions.
Au son de la Symphonie inachevée, de Schubert, le policier John Anderton (Tom Cruise) regarde et interprète sur un écran télépathique le film des crimes futurs, en serviteur zélé d’un pouvoir qui a réalisé l’impunité zéro. Sans se douter qu’il se découvrira plus tard sur ce même écran, en flagrant délit d’homicide.
A ce moment du film surgit une révélation qui n’a pas du tout la valeur explicative qu’on lui attache communément. On s’attend à ce qu’Agatha, la plus douée du trio de précogs, révèle à John Anderton les raisons pour lesquelles un complot a été tramé autour de lui. Or, pas du tout. De whodunit (de who [has] done it ?, « qui l’a fait ? ») – intrigue qui repose sur la recherche de l’identité du coupable – et de film noir en hommage au Grand Sommeil, de Howard Hawks, Minority Report devient un film de Spielberg. De film de genre réalisé à la perfection, il se transforme en grand film.
Un futur parallèle
Agatha se met subitement à avoir des ratés dans ses visions. Elle ne décrit plus un futur certain, mais un futur parallèle, et raconte à John Anderton le devenir possible de Sean, son jeune fils, s’il n’avait pas mystérieusement disparu six ans auparavant. Sean aurait fréquenté les bancs de l’université. Il serait devenu vétérinaire… On a alors le sentiment que le film recommence à l’identique. Revoilà John Anderton, père à la recherche de son fils perdu pour toujours ; revoici Agatha, jeune fille traumatisée par l’assassinat de sa mère. Tout recommence donc, à la différence près que le lien qui unit les deux personnages est maintenant devenu intime.
Cette manière de faire à nouveau connaissance entre une fille orpheline et ce père endeuillé provoque une inquiétude aussi vive. Le cinéaste s’adresse à son spectateur comme à un orphelin. On pourrait croire que son film est un secret de famille qu’il consent à dévoiler. C’est tout simplement l’histoire bouleversante de deux individus qui n’arrivent pas à enterrer leurs morts.
Comme tous les films de Spielberg, Minority Report parle de familles éclatées. Ici, ces familles ne seront jamais réunies. Le futur envisagé par Philip K. Dick – dans sa nouvelle Rapport minoritaire, publiée en 1956 et adaptée par Spielberg – a largement contaminé notre présent. Minority Report porte la trace visuelle de cette angoisse, par la grâce de la photographie blafarde du chef opérateur habituel du cinéaste, Janusz Kaminski, qui dépeint un univers terne, comme si la couleur semblait avoir été expulsée de cette Amérique futuriste en même temps que ses criminels.
« Les morts ne meurent pas », explique Agatha à John Anderton. Spielberg va plus loin encore : il vise à ancrer ses personnages dans la généalogie de leurs morts, comme si seule la mémoire offrait une alternative à un futur désincarné. La science s’est interrogée sur le point de savoir si l’eau avait une mémoire. Minority Report est une histoire d’eau : le lac près de la maison de John Anderton, le liquide amniotique dans lequel baignent les trois précogs, le point d’eau où est noyée la mère d’Agatha… Et cette eau finit par nous engloutir.
Minority Report, de Steven Spielberg. Avec Tom Cruise, Samantha Morton, Colin Farrell, Max Von Sydow (EU, 2002, 145 min).