JO d’hiver 2018 : comment un patineur français est devenu allemand pour poursuivre son rêve olympique
JO d’hiver 2018 : comment un patineur français est devenu allemand pour poursuivre son rêve olympique
Par Clément Martel (Oberstdorf (Allemagne), envoyé spécial)
Aux côtés de l’illustre Aljona Savchenko, le Normand Bruno Massot dispute les Jeux olympiques de Pyeongchang en patinage, sous le maillot allemand.
Bruno Massot et Aljona Savchenko lors du programme court en couple, dans l’épreuve de patinage artistique par équipe. / MLADEN ANTONOV / AFP
« Bruno, il est tellement français ! » Accoudé à la rambarde, ne quittant pas des yeux ses ouailles qui s’entraînent, Alexander König s’esclaffe. En ce froid jour de janvier, le rire de l’entraîneur du couple allemand de patinage artistique résonne dans la patinoire. A l’extérieur, le petit village d’Oberstdorf, station de ski courue des Alpes bavaroises, peine à s’extirper du brouillard.
Sur la glace, Aljona Savchenko et Bruno Massot peaufinent le programme court qu’ils présenteront, mercredi 14 janvier dans le palais des glaces de Gangneung. Au son swinguant de That Man de Caro Emerald, le couple enchaîne ses figures. Triples salchow, triples flips en saut lancé, enchaînement de pas, les deux patineurs n’épargnent pas leurs efforts. L’objectif de leur saison, celui de leur vie est dans leur viseur.
De naissance, elle est ukrainienne. Lui est français. Mais c’est sous un survêtement frappé du Bundesadler, l’aigle allemand, qu’ils disputent la compétition à Pyeonchang. En visant l’or olympique dans un concours où ils font partie des favoris.
« Ces Jeux, c’est la consécration d’une carrière vraiment difficile », souffle Massot en s’échauffant longuement. A 29 ans, le natif de Caen souffre de douleurs chroniques au dos qui, si elles ne l’empêchent pas de patiner, se révèlent fort douloureuses. La conséquence de plus de vingt ans chaussé sur des lames, dont dix à porter, soutenir ou expédier une partenaire dans les airs.
Les Jeux, l’objectif principal de sa carrière
Les anneaux olympiques, Bruno Massot en rêve depuis longtemps. « C’est l’objectif principal de toute ma carrière », insiste-t-il. Et pour y parvenir, le Normand aura emprunté des chemins de traverse. Ayant débuté le patinage à l’âge de sept ans – soit de façon tardive pour la discipline –, le jeune homme débute en couple dix ans plus tard « parce que j’avais le gabarit pour ». Avec réticence, d’abord, le grand brun à la carrure d’armoire normande finit par s’épanouir dans ce rôle. Après plusieurs partenaires, et quelques désillusions – notamment à Sotchi, où un souci administratif a privé son couple de concours –, « la quintuple championne du monde m’a proposé un partenariat avec elle ». C’était il y a quatre ans.
Au début, Bruno n’y a pas cru. Que « la » Aljona Savchenko lui demande d’être son partenaire particulier. Car ne vous fiez pas à sa courte taille. Du haut de ses 1,53 m, la native de Kiev est un monument du sport. Cinq fois championne du monde, quatre fois titrée en Europe et médaillée de bronze à Sotchi et à Vancouver, la patineuse a tout gagné. A l’exception des Jeux olympiques. Et lorsque son partenaire Robin Szolkowy a raccroché les lames, elle s’est mise en quête d’un remplaçant avec qui viser ce titre manquant.
Quintuple championne du monde, Aljona Savchenko est venu chercher Bruno Massot. / JOHN SIBLEY / REUTERS
« Il me fallait un nouveau partenaire pour m’améliorer, et j’avais dressé son portrait-robot, relate la championne, âgée de 34 ans au sortir de l’entraînement. Il devait être plus fort et plus grand que mon partenaire de l’époque. » C’est là que le Normand, qui s’entraîne dans la même patinoire qu’elle à Chemnitz, lui tape dans l’œil. Pour sa technique sans faille, mais pas seulement. « Bruno était parfait en termes de taille. Ni trop grand, ni trop petit. En nous imaginant patiner ensemble, dans ma tête, c’était parfait », relate la première patineuse de l’histoire à disputer cinq Jeux olympiques. Dans une discipline où est jugée la complémentarité du couple, l’image qu’ils renvoient sur la glace importe. « Donc je lui ai proposé. »
Tractations entre fédérations
A ce moment-là, l’idée d’abandonner le maillot bleu n’effleure pas Bruno Massot. Quand elle vient le trouver, Savchenko lui propose que le couple défende les couleurs de la France. Et tous deux vont toquer aux portes de leurs fédérations respectives pour s’enquérir de la marche à suivre. Notamment parce qu’ils ignorent si Aljona peut participer aux JO pour un troisième pays différent, après l’Ukraine (2002 et 2006) et l’Allemagne (2010 et 2014). « Je ne sais toujours pas », balaie le patineur, déplorant un manque de réponse de la Fédération française des sports de glace (FFSG). Selon l’article 41 de la Charte olympique, seule la commission exécutive du CIO peut résoudre ce genre de dilemme.
De leur côté, les officiels français racontent une autre histoire. Si la France a accueilli très favorablement la requête d’Aljona Savchenko, « les Allemands se sont opposés à ce qu’elle les quitte pour rejoindre la France », relate Katia Krier, directrice technique nationale adjointe à la FFSG. Et ont demandé l’inverse. S’est engagée alors une bataille de fédérations autour du transfert d’un des deux athlètes, chacune ayant « conscience du potentiel du couple ». Dans un univers peu régulé, derrière cet argument, la question du financement de l’entraînement du couple se pose. Et Bruno Massot de préciser : « la France partait du principe que tant qu’Aljena ne serait pas débloquée, ils ne nous aideraient pas financièrement. » Soit potentiellement plus d’un an sans revenus, le temps que les fédérations s’entendent.
Le couple tranche. Ce sera l’Allemagne, plus souple dans son approche. Et un déménagement à Oberstdorf, sa station de ski, ses maisons bavaroises et ses vaches. « Un point commun avec ma Normandie. » Dans la bourgade la plus méridionale du pays, ils rejoignent l’entraîneur reconnu Alexander König.
« C’est toujours difficile de prendre la décision de patiner pour un autre pays que le sien », reconnaît Massot, qui, pudique, raconte avoir reçu des « mauvaises réactions » au début. Mais le patineur de préciser que « chaque sportif dira la même chose : on ne concourt pas d’abord pour le pays, on concourt avant tout pour soi. Et ensuite pour le pays. » En patinage de couple plus qu’ailleurs, les changements de nationalité sont récurrents. En témoigne le cas de Vanessa James, Britannique qui affrontera le couple allemand sous les couleurs françaises.
Parmi les favoris à Pyeongchang
Pendant un an et demi, le couple demeure interdit de compétition, faute de lettre de « libération » de la FFSG. Une situation difficile à gérer pour le Caennais, qui passe en parallèle son examen pour obtenir la nationalité allemande. Il s’y reprendra à trois fois pour maîtriser suffisamment les arcanes de la langue – écrite – de Goethe.
Aljona Savchenko ne laisse rien passer. Pour la quintuple championne du monde, chaque détail a son importance et peut repérer le faux pli au col du gilet de son partenaire, le jour de l’essai de leurs costumes olympiques. Avec ou sans gilet, bretelles ou ceinture et manches de la chemise retroussées ou pas, toutes les combinaisons sont testées jusqu’à trouver la bonne.
« De mon côté, l’attente a été plus simple, parce qu’on avait besoin de temps pour s’adapter l’un à l’autre », admet Savchenko. Mais interdits également de shows, les deux athlètes se retrouvent privés de la possibilité de tester leurs programmes en public. Et des entrées financières afférentes.
Libéré fin 2015 par la FFSG, le patineur franco-allemand (il a obtenu sa nationalité outre-Rhin in extremis, en novembre) peut enfin se lancer en compétition avec son illustre partenaire. Celle aux côtés de qui le patinage est « simple », car « elle peut tout faire », se réjouit-il. Deux fois vice-champion d’Europe, le couple aborde la compétition olympique dans le peloton des favoris.
A Oberstdorf, Bruno Massot s’entraîne trois fois par jour dans la patinoire juchée sur le flanc de la montagne Nebelhorn (littéralement, la « pointe des brumes »). Sur la glace de Pyeongchang, il a l’occasion de se libérer des nuages ayant encombré le début de sa carrière. Une médaille olympique, même sans Marseillaise, pourrait y contribuer.
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