La Tesla envoyée dans l’espace par la fusée SpaceX d’Elon Musk, le 6 février. / SpaceX via AP

Editorial du « Monde ». La privatisation de la conquête spatiale s’accélère. Le 6 février, SpaceX, la société d’Elon Musk, a réussi à envoyer au-delà de l’orbite martienne une voiture Tesla (également propriété du milliardaire), à bord de son lanceur, Falcon Heavy, le plus puissant du monde. Le 11 février, le Washington Post a révélé que les Etats-Unis envisagent de mettre fin à leur contribution financière à la Station spatiale internationale d’ici à 2024 pour confier son exploitation à des entreprises privées. Blue Origin, créée par le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, travaille à la mise au point du lanceur New Glenn, capable de placer en orbite des charges lourdes. Enfin, SpaceX prévoit, vers 2025, une nouvelle expédition humaine vers la Lune grâce à un lanceur trois fois plus puissant que Falcon Heavy, l’objectif à long terme étant de coloniser Mars.

En seulement quelques années, ce que l’on appelle désormais le « New Space », ces nouveaux acteurs de la conquête spatiale, a fait irruption dans un domaine qui, depuis les origines, était l’apanage de gouvernements se livrant à une compétition féroce pour démontrer leur supériorité technologique. Mais, aujourd’hui, les tensions budgétaires auxquelles les Etats doivent faire face les poussent à encourager des entreprises privées à prendre le relais, même si celles-ci restent largement subventionnées par des fonds publics.

De ce point de vue, le Space Act, promulgué en décembre 2015 par Barack Obama, constitue un tournant majeur, car il remet en cause le traité de l’espace de 1967. Signé à l’initiative des Etats-Unis et de l’URSS, celui-ci visait à préserver l’espace des égoïsmes nationaux en le considérant comme un bien commun ne pouvant pas faire l’objet de revendications de souveraineté. La logique a été poussée un peu plus loin en 1979, avec le traité sur la Lune, qui fait du satellite naturel de la Terre une partie intégrante du « patrimoine commun de l’humanité ». Toutefois, ce texte n’a pas été ratifié par les grandes puissances spatiales.

Marchandisation

Si le Space Act ne remet pas en cause le fait qu’un Etat ne puisse pas s’approprier un corps céleste, il autorise en revanche une entreprise privée à exploiter les ressources qui s’y trouvent. Cette interprétation subjective du droit international par les Etats-Unis a finalement suscité assez peu de protestations, encourageant le Luxembourg ou les Emirats arabes unis à adopter la même lecture.

Outre l’aspect éthique que pose la marchandisation de l’espace, le mouvement de privatisation actuel soulève plusieurs interrogations. D’abord, la multiplication de lancements d’objets va générer une masse de débris qui risque de se transformer en pollution irréversible. Ensuite, ces entreprises privées poursuivent des intérêts mercantiles, qui ne sont pas forcément compatibles avec le droit sur la protection des planètes censé préserver les activités scientifiques, qui, elles, ne sont pas systématiquement rentables.

Mais, surtout, il semble urgent de définir de nouvelles règles pour que l’espace continue à être considéré comme un bien commun. L’exemple de l’Autorité internationale des fonds marins, qui garantit une certaine équité entre les pays pour l’exploitation des ressources, pourrait servir de modèle. Si Elon Musk a réussi à redonner un élan formidable au vieux rêve humain de conquête de l’espace, il ne doit pas nous faire oublier que celle-ci doit se poursuivre à l’abri des seuls intérêts d’une poignée de milliardaires, aussi talentueux soient-ils.

Donald Trump veut renvoyer des hommes sur la Lune
Durée : 01:42