L’industrie du jeu vidéo s’oppose à une législation sur les « loot box »
L’industrie du jeu vidéo s’oppose à une législation sur les « loot box »
Par William Audureau
Ubisoft et le syndicat des éditeurs américains mettent en avant la capacité du secteur à s’autoréguler, alors que ces contenus aléatoires payants ont fait polémique en 2017.
L’ESA, le puissant syndicat organisateur du Salon de jeux vidéo de l’E3, prône l’autorégulation plutôt que la législation dans l’affaire des « loot boxes ». / Entertainment Software Association (ESA)
Les géants du jeu vidéo ne veulent pas d’ingérence des pouvoirs publics. C’est le message envoyé par l’Entertainment Software Association (ESA), le puissant syndicat représentant les intérêts du secteur aux Etats-Unis. « En tant qu’industrie, nous prenons très au sérieux notre responsabilité vis-à-vis des consommateurs et travaillons tous les jours pour sensibiliser à la variété des expériences proposées dans les jeux, en toute transparence. Nous sommes convaincus que les importants efforts d’autorégulation de l’industrie restent la manière la plus efficace de régler ces questions importantes, et ce système a prouvé son efficacité depuis longtemps, » a déclaré mercredi 14 février un porte-parole de l’ESA au site Game Industry.
Cette prise de parole fait suite à l’introduction à Hawaï d’une proposition de loi visant à encadrer juridiquement les « loot box », ces coffres à butin aléatoires virtuels, parfois payants, et qui rapprochent l’expérience de certains jeux vidéo de jeux d’argent. Star Wars Battlefront II, la superproduction qui a été au cœur des polémiques à l’automne 2017, « est un casino en ligne avec un décor Star Wars », avait alors épinglé l’élu démocrate de Hawaï Chris Lee, à l’origine de cette proposition de loi. A sa sortie, les joueurs avaient calculé qu’il leur faudrait environ 2 100 dollars d’achats de loot boxes ou 4 528 heures de jeu pour débloquer tout le contenu du titre.
« Pas un problème de régulation majeur » pour Ubisoft
Quelques jours plus tôt, à l’occasion de son échange trimestriel avec ses actionnaires, Ubisoft a fait savoir par la voix de son directeur financier, Alain Martinez, que les loot boxes étaient un non-problème à ses yeux :
« Ce que l’on peut en dire, c’est que c’est pour nous une question de qualité et de choix. C’est aussi simple que cela. Nous devons, pour tout ce que nous proposons, offrir la qualité attendue par les gens intéressés. En même temps, ils doivent sentir qu’ils ont la liberté de ne pas en acheter et que leur choix est réel. Nous avons le sentiment d’aller dans la bonne direction et ne pensons pas qu’il s’agit d’un problème de régulation majeur que nous devrions résoudre. »
Hawaï est le premier Etat américain à tenter de légiférer. Washington y réfléchit également. En Europe, les commissions de régulation des jeux d’argent belge, britannique, française et néerlandaise ont lancé « une réflexion commune » sur la question des loot boxes en novembre dernier, témoignait à l’époque le gendarme français des jeux en ligne, l’Arjel.
Ce dernier doit rencontrer jeudi 15 février une délégation du Sénat, dont le sénateur socialiste Jérôme Durain, qui avait interpellé le gouvernement sur la question en novembre.
Le modèle de l’autorégulation en question
L’industrie du jeu vidéo s’est historiquement construite autour d’un modèle d’autorégulation dont les exemples les plus célèbres sont les systèmes de signalisation ESRB aux Etats-Unis et PEGI en Europe, qui indiquent un âge minimal conseillé pour les jeux. Gérés par des consortiums issus du secteur, ils se sont imposés comme les systèmes de classification de référence et ont permis de canaliser les craintes exprimées dans les années 1990 concernant la violence de certains jeux vidéo.
Ce système s’est avéré finalement plus sévère que celui du CNC pour le cinéma en France, révélait une analyse comparative du Monde en 2015. « Certains consommateurs et parents peuvent s’interroger sur le fonctionnement des loot boxes, et l’ESA [qui gère l’ESRB] a prouvé son engagement à fournir de l’information pour guider les consommateurs, notamment les parents, dans leurs choix d’achat », s’est félicité l’ESA dans sa réponse à Game Industry.
En novembre 2017, le président de l’Arjel, Charles Coppolani, avait au contraire appelé à « s’interroger sur les limites du choix de l’autorégulation face à une industrie qui, pour satisfaire un besoin de renouvellement permanent, serait amenée à introduire sous des formes variées toujours plus d’argent et donc toujours plus de risques pour nos concitoyens. »