La situation est inédite pour la cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Lundi 19 février s’ouvre le procès de six membres présumés d’une bande criminelle d’Ajaccio, accusés d’avoir pris part, à des degrés divers, à l’assassinat, le 18 octobre 2010 à Ajaccio, d’Antoine Nivaggioni, une ancienne figure du nationalisme corse. Parmi ces accusés, la cour va devoir juger Patrick Giovannoni qui bénéficie du statut de « repenti », une première en France.

Cet ex-agent de sécurité, âgé de 48 ans, est le numéro un d’un programme de protection et de réinsertion institué en 2014 sur le modèle de la lutte anti-Mafia en Italie. La Commission nationale de protection et de réinsertion, seule autorisée à accorder ce statut de « collaborateur de justice », avait accepté, le 18 février 2015, la demande du procureur de la République de Marseille le concernant, en échange de ses aveux et accusations reçus dans plusieurs dossiers de criminalité corse, instruits par la juridiction interrégionale spécialisée. Pour assurer sa sécurité, la cour d’assises se doit impérativement de soustraire aux regards le visage de Patrick Giovannoni.

A Aix-en-Provence, le « repenti » retrouve ses anciens amis, membres, selon l’accusation, de l’équipe dite du Petit Bar, ceux-là même qu’il désigne comme ayant commandité, aidé et exécuté cette action criminelle. Patrick Giovannoni n’a juridiquement rien à attendre en termes de diminution de peine, une rétribution prévue depuis 2004 pour les « repentis » contribuant à l’identification des auteurs d’une infraction. C’est en effet dans un autre dossier que Patrick Giovannoni a bénéficié de ce statut, les personnes impliquées dans un homicide volontaire ne pouvant y prétendre. Mais son avocat, Me Laurent-Franck Lienard, ne comprendrait pas que les jurés le renvoient en prison : « Outre que ce serait l’envoyer à la mort, ce serait aberrant, il y a une logique judiciaire à ne pas le condamner à de l’emprisonnement ferme. »

« Les textes sont flous »

Pour sa protection, Me Lienard réclamera que les audiences prévues jusqu’au 2 mars se tiennent à huis clos. La cour peut aussi envisager une comparution de M. Giovannoni en visioconférence, le visage flouté.

« On avance dans un no man’s land, reconnaît-on à la cour d’appel. La justice française n’a aucune culture de ce genre de choses, d’autant que les textes sont flous et replâtrés. »

Dans ce procès placé sous haute sécurité, c’est du public qu’il faut protéger le visage du « repenti », moins des autres accusés qui sont ses anciens amis. Ceux-là même qui avaient tenté qu’il ne passe de l’autre côté du miroir. « Eux, la police et la justice, c’est pas tes amis. Nous, on est tes amis », s’était-il entendu dire avant de remettre l’organisation de sa vie sociale au service interministériel d’assistance technique chargé de la protection des « repentis ».

Selon l’accusation, la cour d’assises juge un épisode d’une rivalité sanglante opposant l’équipe du Petit Bar, à la tête de laquelle la police judiciaire place Jacques Santoni, un parrain présumé, cloué dans un fauteuil roulant depuis un accident de moto, au clan d’Alain Orsoni, ancien chef d’un mouvement nationaliste et un temps président de l’Athletic Club ajaccien. Antoine Nivaggioni était l’un des plus fidèles compagnons d’armes d’Alain Orsoni durant la guerre entre militants nationalistes dans les années 1990. Personnage influent dans la société civile corse, entretenant des liens troubles avec les renseignements généraux, Antoine Nivaggioni était à la tête d’une importante société de sécurité.

Voiture « ventouse »

Le 18 octobre 2010, il était abattu en sortant de chez une amie par deux hommes embusqués dans le coffre de toit et dans la malle arrière d’une Renault Mégane. Son amie avait eu ce réflexe irraisonné de se précipiter vers la voiture des assassins cagoulés et d’en ouvrir la portière, croisant « le regard complètement anormal » d’un des tueurs, ses « yeux globuleux comme révulsés ». Cet assassinat était rapidement rapproché de ce qui s’était passé au même, endroit, le 11 mai 2010 : deux hommes cagoulés et armés avaient pris la fuite et un véhicule avait été incendié quelques minutes plus tard.

Inconnu des services de police et qualifié de « petites mains » de la bande du Petit Bar, Patrick Giovannoni avait reconnu qu’en mai comme en octobre 2010, à la demande de Jacques Santoni, il avait stationné une voiture « ventouse », juste en face du domicile de l’amie d’Antoine Nivaggioni. Le matin de l’assassinat, a-t-il affirmé, il avait déplacé le véhicule pour laisser la place à celui des tueurs, « à 6 heures précises », comme lui aurait demandé Jacques Santoni.

Les enquêteurs découvraient qu’un appartement dit de « guet » avait été loué, ses fenêtres donnant sur l’entrée de l’immeuble de l’amie de M. Nivaggioni. Jugés pour association de malfaiteurs, Christophe Ettori et Pierre Joseph Guarguale avaient loué ce F4 mais les lieux devaient servir de « garçonnière » à Jacques Santoni, ont-ils persisté à dire.