Prime charbon, prime pour absence de prime…. les idées reçues sur les cheminots
Prime charbon, prime pour absence de prime.... les idées reçues sur les cheminots
Par Mathilde Damgé
De nombreuses légendes urbaines circulent sur le statut des employés de la SNCF, que le rapport Spinetta préconise de réformer.
Après la remise au premier ministre, le 15 février, du rapport Spinetta, qui propose de mettre fin au statut des cheminots, nous republions cet article initialement publié en 2014.
Les critiques fleurissent régulièrement sur le Web à l'encontre des cheminots et de leur statut, à l'image de cet extrait, largement diffusé sur Twitter.
Ce qui est reproché aux cheminots ? Un cumul de primes injustifiées, des semaines qui ne compteraient que vingt-cinq heures, des soins gratuits ou des indemnités en tout genre.
Les cheminots ont-ils des salaires mirobolants ?
Le salaire des conducteurs de TGV est souvent brandi pour symboliser les avantages du secteur ; en réalité, leur rémunération évolue entre 2 400 et 3 300 euros brut par mois, primes comprises (les primes représentent dans leur cas environ 30 % du salaire final). La moyenne des salaires dans le groupe s'établissait à 2 891 euros brut en 2012, selon le rapport RSE (responsabilité sociale) du groupe — un peu plus que le salaire moyen en France qui s'établit à 2 466 euros brut.
Par ailleurs, ils ne sont que 1 800 par rapport aux 14 500 conducteurs que compte le groupe qui emploie lui-même 155 000 personnes.
Le tableau ci-dessous, réalisé par l'Institut européen du salariat, un réseau de chercheurs en sciences sociales, présente les niveaux de rémunération à la SNCF, en brut, primes comprises. On voit que le salaire d'un agent appartenant aux catégories exécution (premier niveau de qualification), maîtrise (deuxième niveau de qualification) ou traction (conducteurs) est en moyenne deux fois moindre que celui d'un cadre.
Rémunération, en brut, des salariés de la SNCF en 2010. / IES
« La part variable du salaire constitue un élément d'autant plus important que l'on monte dans la hiérarchie. S'il ne représente encore que 300 euros annuels (au maximum) pour les agents d'exécution et de la maîtrise, il pèse jusqu'à 10 % de la rémunération des cadres, 20 % de celle des cadres supérieurs, 50 % pour celle des cadres dirigeants et des top managers », explique l'IES.
Les cheminots travaillent-ils vingt-cinq heures par semaine ?
C'est totalement faux : tous les collaborateurs SNCF sont soumis à la réglementation des trente-cinq heures qu'a signée l'entreprise en 1999. Toutefois, précise un document interne de l'entreprise, « les trains circulent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an, [ce qui a] évidemment des répercussions sur la vie des agents ».
Les règles d'organisation du travail pour l'ensemble du groupe sont fixées par une directive (RH-0077), qui détaille l'organisation par roulement intégrant des nuits, samedis, dimanches et jours fériés pour les agents roulants comme pour les agents sédentaires. Parmi les cadres, la majorité sont soumis à des astreintes pendant les week-ends, explique la direction de la communication.
Selon les trajets, le salarié roulant (environ 30 000 personnes avec les contrôleurs, soit 20 % du groupe) peut être amené à prendre des repos hors domicile, des « découchés »… ce qui explique, pour certaines catégories de salariés, les « allocations de déplacement », des frais de déplacement en somme.
Reçoivent-ils des gratifications en tout genre ?
C'est le jargon de la société ferroviaire qui induit ici en erreur ; de même que le « dépôt de sac » désigne le droit de retrait des agents lorsque l'un de leurs collègues est agressé, les termes de « primes » et de « gratifications » peuvent être trompeurs. Ainsi, la « prime de travail » représente en réalité le salaire.
Parmi les compléments de salaire réservés au personnel roulant, la « prime de parcours » correspond à une rémunération supplémentaire calculée en fonction de la distance parcourue, la « prime de TGV » est accordée aux salariés spécialement qualifiés pour conduire ce type de trains (près d'un an de formation).
La prime de fin d'année (le 13e mois n'existe pas à la SNCF), la gratification annuelle d'exploitation (8 % d'un mois de salaire) et les heures supplémentaires existent réellement, comme dans d'autres entreprises. La « gratification de vacances » correspond à environ 15 euros par mois et par salarié.
Quant à l'intéressement, appelé « dividende salarial » à la SNCF, il est d'environ 300 euros par salarié, un montant en baisse de 17 % pour l'année 2014, après une baisse de 9 % l'an dernier.
Les cheminots touchent-ils…
… une « prime charbon » ?
Patrick Janicek / CC
Cette prime n'existe plus depuis les années 1970 et la fin des locomotives… à charbon. La dernière a roulé en 1974, laissant la place à ses consœurs roulant au diesel puis à l'électricité.
Par ailleurs, les mécaniciens n'ont jamais touché cette prime, seuls les conducteurs en bénéficiaient.
… une « prime pour absence de prime » ?
La « prime d'absence de prime » qui récompenserait les agents sédentaires ne touchant pas de compensation pour déplacement n'existe pas non plus. Comme pour la supposée prime charbon, des cheminots ont été jusqu'à rendre publiques leurs fiches de paie (voir page 7 de ce document publié par la CFDT) pour prouver qu'elle n'est pas versée ; ce que confirme la direction de la communication de la SNCF.
… une retraite à 50 ans ?
Le cheminot peut certes partir à la retraite plus tôt que la majorité des employés français, mais il cotise davantage (7,85 % de cotisations pour le régime spécial, contre 7,05 % pour le régime général) et touche une retraite minorée (par rapport au taux plein) selon le nombre de trimestres cotisés manquants (166 pour tous les salariés).
En outre, les réformes successives des régimes de retraite de 2008 (allongement de deux ans de la durée de cotisation) et de 2010 (suppression de l'obligation de départ à 50 ans pour les conducteurs de train et à 55 ans pour les cheminots) ont retardé d'autant l'âge de départ.
Et tous les cheminots ne bénéficient pas du régime spécial de retraite (52 ans pour les conducteurs ou 57 ans pour les agents en service sédentaire) : pour y avoir droit, il faut avoir été embauché à la SNCF avant l'âge de 31 ans. Les cheminots embauchés au-delà de cet âge relèvent du régime général.
AFP/JACQUES DEMARTHON
Les cheminots bénéficient-ils de voyages gratuits ?
Dans son rapport de l’an dernier, la Cour des comptes remarquait que si le nombre de bénéficiaires des billets à tarif réduit ou gratuits a diminué ; ce sont principalement les ayants droit qui en bénéficient, loin devant les cheminots eux-mêmes ou les retraités.
« Le total des bénéficiaires des facilités de circulation s'établissait donc, à la fin de 2011, à plus de 1 100 000 personnes, dont seulement environ 15 % de cheminots en activité », observait la Cour, selon laquelle le manque à gagner pour l'entreprise s'établissait entre 50 millions et 100 millions d'euros en 2011.
L'entreprise a répondu, par la voix de son PDG, Guillaume Pepy, que « les facilités de circulation » étaient liées « à l'histoire du monde ferroviaire » et que des « chantiers d'amélioration et de rationalisation se poursuiv[ai]ent ». Par exemple, les ex-conjoints ne sont plus couverts lors du décès de l'ouvrant droit.
L'entreprise a également publié sur son site Internet un tableau récapitulatif des avantages avec la SNCF et ses partenaires internationaux (Thalys, Eurostar…) des employés et de leurs proches :
SNCF
Les salariés de la SNCF sont-ils pris en charge médicalement à 100 % ?
Comme c'est le cas dans de nombreuses entreprises, les salariés peuvent bénéficier d'une mutuelle. En l'occurrence, la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF passe des conventions avec des établissements de soins. Et la mutuelle complémentaire de santé couvre la part non remboursée par la Sécurité sociale. Certaines prestations (mais pas toutes) sont donc couvertes à hauteur de 100 %. Mais c'est aussi le cas de nombreux salariés de grands groupes privés (la mutuelle du groupe BNP Paribas, par exemple), du secteur public (la MGEN, mutuelle de l'éducation nationale) ou d'indépendants (la mutuelle des clercs et employés de notaire).