L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Auteur d’une douzaine de documentaires de facture sinon militante du moins fortement engagée, Gilles Perret a su souvent, néanmoins, trouver le chemin des salles par la singularité de sa démarche, qui consiste à aborder des problèmes sociaux d’intérêt général à travers le prisme local de sa région natale, la Savoie. Un ancrage bénéfique à ses films, enracinant ses sujets (Ma mondialisation, 2006 ; Walter, retour en résistance, 2009 ; De mémoire d’ouvriers, 2012 ; La Sociale, 2016) dans une réalité triviale, concrète, effective, avec des personnages attachants, des moments forts, et le grand air des montagnes en bonus.

On a suffisamment décrit, dans ces colonnes, la valeur de ces films pour dire de manière sereine – dans le contexte polémique qui entoure la sortie de son nouveau film de fait déprogrammé dans plusieurs salles – notre relative déception devant celui-ci. L’Insoumis est la chronique de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, dirigeant de La France insoumise.

Plus irénique que critique

Sans musique, sans commentaire, c’est un pur film d’immersion (visites de sites, réunions d’équipe, monologues réflexifs dans le train), qui présente, hélas, plus de défauts que de qualités liés au genre. Soit, en un mot, un portrait irénique de l’intéressé plutôt qu’un portrait critique (au bon sens de ce terme), qui laisserait supposer que le filmé a réussi à imposer au filmeur une image de lui-même qui ne donne pas de prise au réel.

Par-delà les convictions supposées du réalisateur ou avérées de son personnage, qui importent assez peu en l’occurrence, c’est le fait que le formidable pouvoir de révélation du médium cinématographique (creuser les apparences, ouvrir des perspectives inattendues, montrer l’ambiguïté du réel) semble ici annihilé. Rien ne bouge : les tenants auront ainsi toutes les raisons d’être emballés et les opposants d’être scandalisés.

Le Mélenchon que nous montre Gilles Perret est même mieux (car épuré de ses défauts) que celui que nous connaissons

Le Mélenchon que nous montre Gilles Perret, non seulement nous le connaissons dans ses grandes lignes, mais il est même mieux (car épuré de ses défauts) que celui que nous connaissons. D’où l’impression, embarrassante, même si le réalisateur n’en a pas eu la volonté délibérée, d’avoir affaire à un portrait hagiographique qui rejoue – mais en vertu de quel enjeu ? – un événement déjà connu du spectateur.

Un exemple concret, parmi d’autres : l’absence, ipso facto assourdissante, de toute allusion au discours du soir de la défaite au premier tour, le dimanche 23 avril 2017. Un discours amer, terrible et déconcertant, humainement comme politiquement, et pour cette raison si mémorable, si âprement discuté. Comment sérieusement consacrer un film à la campagne de Jean-Luc Mélenchon sans s’y confronter, d’une manière ou d’une autre ? Difficile de ne pas penser ici, évidemment, au fameux 1974, une partie de campagne (1974), de Raymond Depardon, qui, à partir de la même échéance électorale et sur les mêmes principes de tournage, parvenait, en filmant Valéry Giscard d’Estaing, à poser en pied l’animal politique, à montrer l’arrivée en force de la communication, à révéler aussi l’abyme au-dessus duquel l’homme de pouvoir ne cesse secrètement de se tenir.

Documentaire français de Gilles Perret (1 h 35). Sur le Web : www.jour2fete.com/distribution/linsoumis