Quand la cote d’un dessinateur autodidacte s’envole
Quand la cote d’un dessinateur autodidacte s’envole
Par Roxana Azimi
Marcel Storr fut un dessinateur méconnu de son vivant. Depuis sa mort en 1976, un couple d’amateurs s’échine à faire connaître son œuvre. Quatre de ses dessins sont proposés à un prix peut-être trop élevé.
Marcel Storr (1911-1976), Sans titre, 1970, Crayon, encre de couleurs et vernis sur papier Canson. Signé et daté en pied. Format 50 x 61 cm. Estimation : 50 000 à 80 000 euros. / © ADER/DROUOT
C’est le genre de belles histoires dont le marché habituellement raffole. Un artiste, qui jusqu’à il y a peu n’était pas considéré comme tel. Un couple qui le découvre par hasard et s’échine depuis trente ans à promouvoir son œuvre. L’artiste en question, c’est Marcel Storr, un fascinant dessinateur autodidacte qui se plaisait à rêver d’architectures imaginaires. Le couple, c’est Liliane et Bertrand Kempf, qui mettent en vente quatre dessins le 23 mars chez Ader, à Drouot. Seul bémol, des estimations exorbitantes.
Né en 1911, Marcel Storr fut accablé dès l’enfance : abandonné à l’âge de quatre ans à l’Assistance publique, placé dans des familles paysannes qui le maltraitent, il est employé comme valet de ferme, régulièrement rudoyé et affamé. Atteint de tuberculose il fait plusieurs séjours dans des sanatoriums et devient sourd.
A 22 ans, le voilà à Paris où il enchaîne les petits boulots, plongeur dans un lycée, vendeur aux Halles, avant d’être affecté à l’entretien du bois de Boulogne, côté Polo de Bagatelle. Il a alors pour compagne Marthe, concierge d’école qui décède en 1974. L’état psychique de Storr se détériore. Il sera brièvement interné à Ville-Evrard. Mais Marcel Storr n’est pas qu’un pauvre hère cabossé par la vie. Il a dessiné, avec une impressionnante minutie, des églises tout d’abord, puis des mégapoles dans des coloris chatoyants d’orange, ocre et rose.
Ces fabuleux dessins, il les confie en 1971 à Liliane et Bertrand Kempf, dont les enfants allaient à l’école dont Marthe était la concierge. Pas question pour lui de les vendre, encore moins de les exposer. « Il ne voulait pas du tout être connu, son ambition c’était d’être balayeur dans le métro », raconte Bertrand Kempf. A sa mort en 1976, les Kempf s’efforcent de promouvoir ce travail d’architecture visionnaire jusqu’à l’exposition en 2011 au Carré Baudoin, à Paris.
L’histoire n’est pas sans rappeler celle de Henry Darger, outsider de Chicago dont le travail fut révélé au monde par ses logeurs, Nathan et Kiyoko Lerner, et qui depuis figure dans les grands musées, y compris au musée d’art moderne de la Ville de Paris. Dans la foulée de la donation Darger en 2012 au musée parisien, les Kempf avaient imaginé une donation similaire. Mais les valeurs d’assurance et les contreparties exigées par le couple ont paru trop exorbitantes.
Marcel Storr (1911-1976), Sans titre, 2 août-27 décembre 1972. Crayon, encre de couleurs et vernis sur papier Canson. Signé et daté en bas à droite. 61 x 50 cm. Estimation entre 60 000 et 90 000 euros. / © ADER/DROUOT
Les estimations des quatre dessins mis en vente chez Ader, entre 40 000 et 90 000 euros, ne sont pas moins faramineuses. Certes, la Galerie Andrew Edlin à New York avait présenté une vingtaine de dessins à des tarifs corsés en 2014 puis sur la foire Art Basel Miami Beach en 2015 en parallèle avec des œuvres de Henry Darger. Mais n’est-ce pas mettre la barre trop haut pour un artiste encore très confidentiel ?
« A l’époque, les tarifs affichés étaient de 90 000 dollars pour une église et 175 000 dollars pour une grande mégapole », plaide Bertrand Kempf. « Les dessins de Storr sont bien sûr beaucoup plus petits que ceux de Darger, qui est une légende du monde de l’art depuis plus de quarante ans, admet Andrew Edlin. Mais Storr est un artiste spécial et rare, dont on ne connaît que 64 œuvres. » Verdict le 23 mars à l’hôtel Drouot, à Paris.