C’est l’histoire d’un retour au pays pas comme les autres. A 31 ans, Kader est en Algérie depuis neuf ans. Il avait quitté la Côte d’Ivoire sans véritable projet, si ce n’est celui d’aller « ailleurs ». Arrivé à Alger après un périple de plusieurs mois, il put y suivre des études de BTS en commerce international. Diplômé, il s’engagea auprès d’autres migrants – l’Algérie est un lieu de passage très fréquenté pour les Ouest-Africains désirant aller en Europe –, d’abord comme bénévole puis comme salarié avec l’association Médecins du monde à Oran.

« Et puis j’ai commencé à m’interroger, raconte-t-il. Après toutes ces années en Algérie, qu’est-ce que je fais ? Je reste là, à travailler avec les migrants, à essayer de soigner une plaie qui ne guérit pas ou bien je rentre pour intervenir à la source du problème ? » Avec deux amis – l’une française, l’autre algérien –, Kader mûrit le projet : la Côte d’Ivoire est un pays avec un immense potentiel agricole, largement sous-exploité. Si de nombreux jeunes préfèrent une périlleuse traversée de la Méditerranée au statut de petit agriculteur, c’est que l’activité n’est pas rentable, socialement dévalorisante, aux prises avec un circuit de distribution mal fichu et des intermédiaires sans scrupule.

Retrouver la terre de son enfance

« Ce qu’il faut, c’est apprendre à ces jeunes à maîtriser la chaîne des valeurs agricoles. Mettre sur pied une sorte de ferme pédagogique », explique Kader. Une mission exploratoire est décidée. Le jeune Ivoirien entreprend le chemin inverse de sa migration : un périple de dix jours qui va le conduire à Alger, Bamako, Abidjan, Duékoué (à l’ouest de la Côte d’Ivoire) jusqu’au petit village de Koonan, proche de la frontière guinéenne. Sur place, l’émotion de retrouver la terre de son enfance, de passer du temps avec sa famille, se mêle à l’excitation de voir sa mission prendre forme. Kader aurait pu choisir Duékoué, où il est né, pour mener à bien son projet, mais les souvenirs des crises internes à la Côte d’Ivoire dans les années 2000 lui ont fait préférer Koonan, le village de ses ancêtres. Un bourg agricole où 1 000 à 1 500 personnes vivotent de l’agriculture.

« Ce que je veux, c’est qu’ils s’organisent, arrivent à parler d’une seule voix », souligne Kader. Ensuite, organisés en coopérative, ils pourront négocier avec les intermédiaires, imposer des prix minimum, voire acheter une usine clés en main pour commencer à transformer leur production, notamment la noix de cajou. Sur place, les autorités ont accueilli cet enfant du pays avec enthousiasme. « Les aides des bailleurs internationaux s’arrêtent souvent à Abidjan », se lamentent-elles. Kader, lui, est confiant : « Mon projet va prendre des années, ça me fait flipper bien sûr, mais j’ai l’habitude de partir de rien ! »

Abidjan-Alger-Bamako-Abidjan : le retour au pays de Kader