En Iran, le mouvement des femmes qui protestent contre le port du voile ne s’essouffle pas
En Iran, le mouvement des femmes qui protestent contre le port du voile ne s’essouffle pas
La diffusion d’une vidéo montrant une femme bousculée par un policier, jeudi, relance les débats autour de ce mouvement que connaît le pays depuis deux mois.
Elle a les cheveux longs et blonds, attachés derrière en queue-de-cheval. Montée sur une armoire électrique dans la rue, la jeune Iranienne brandit à bout de son bras levé son foulard blanc. En bas, un policier essaie, d’un ton calme, de la convaincre de descendre. Elle lui demande : « Quelle est la charge [retenue contre moi] ? » « Descends d’abord, je te dirai après », lui répond le policier. L’Iranienne, elle, n’entend aucunement lui obéir. « Dis-le maintenant devant tout le monde », lance-t-elle. « Perturber l’ordre public », lui répond finalement le policier.
ویدیوی کامل دختر خیابان انقلاب (پلیس وحشی دختر را از بالا به پایین می اندازد)
Durée : 03:09
Autour, une foule d’Iraniens de plus en plus nombreuse se rassemble. Quelqu’un lance : « Applaudissez-la » et certains suivent son injonction. Après quelques secondes de discussion, le policier monte sur un arbre adjacent et donne un coup de pied à la fille qui tombe de suite.
La jeune iranienne s’appelle Mariam Shariatmadari et la scène, filmée par des téléphones portables et publiée largement sur les réseaux sociaux, se déroule jeudi 22 février en plein centre de Téhéran. Transférée à la prison d’Evin dans le nord de Téhéran, Mariam Shariatmadari, blessée au genou, attend son jugement.
Vague de critiques sur les réseaux sociaux
Cette diplômée de l’université d’Amirkabir de Téhéran est la dernière Iranienne à s’être publiquement opposée à la loi qui oblige les femmes en République islamique d’Iran à porter le voile. Le 27 décembre 2017, Vida Movahed, 31 ans, a été la pionnière de ce mouvement. Elle a grimpé sur une armoire électrique, située au croisement des avenues Enghelab et Taleghani, dans le centre de Téhéran, et ôté son voile blanc. Depuis, une trentaine d’autres Iraniennes ont défié le pouvoir en adoptant les mêmes gestes, à Téhéran et parfois en province.
Mais depuis jeudi, la réaction violente du policier a provoqué une vague de critiques sur les réseaux sociaux. À en croire la célèbre avocate iranienne des droits humains Nasrin Sotoudeh qui représente certaines des filles protestataires poursuivies par la justice, le policier « a commis un acte illégal » :
« Car non seulement aucun homme n’a droit de faire cela avec une femme, mais en plus le policier [en question] a abusé de son pouvoir. Les femmes de notre pays veulent que la décision de choisir leurs vêtements leur revienne », a expliqué l’avocate sur sa page Facebook.
Libérée contre une caution de 10 000 euros
L’une de ses clientes, Narges Hosseini, arrêtée le 29 janvier, est aujourd’hui accusée d’« avoir paru en public sans le hidjab », d’« avoir fait un acte haram », illégal selon la charia, en vigueur en République islamique d’Iran et d’« avoir encouragé à la corruption ». Cette dernière accusation peut valoir aux Iraniennes interpellées jusqu’à dix ans de prison ; une très lourde peine témoignant de la volonté des autorités iraniennes de mettre un terme à cette forme de contestation en faisant remonter le prix à payer.
Jusqu’à présent, les femmes qui ne respectaient pas le hidjab risquaient une amende allant jusqu’à 50 00 tomans, soit 9 euros, ou une peine de prison, entre dix jours et deux mois.
Narges Hosseini, elle, a été libérée de la prison de Gharchak, située dans les périphéries de la ville de Karaj, à 40 kilomètres de Téhéran, contre une caution de 60 millions de tomans, soit 10 000 euros. Nasrin Sotoudeh, quant à elle, entend protester contre les charges retenues à l’encontre de sa cliente. « Elle est sortie sans hidjab car elle portait des vêtements d’hiver et son corps était couvert », explique-t-elle.
Sur les réseaux sociaux, à l’heure où ce mouvement de contestation ne s’essouffle guère, les Iraniens sont également nombreux à critiquer ces filles. Sur Twitter, Ali Sadrinia, un Iranien, voit dans cette contestation un acte « illégal » et « illogique » :
« Imaginez que quelques personnes trouvent que certains articles du code de la route posent problème et qu’elles décident, en signe de protestation, de conduire dans le sens inverse autour des places. Comment vous appelez cela ? Aucune personne intelligente et saine ne peut penser que pour faire changer une loi, il faille l’enfreindre. »
D’autres utilisateurs pointent du doigt des voyages à l’étranger de certaines filles arrêtées dans le cadre de ce mouvement, laissant entendre qu’elles auraient été manipulées par les pays ennemis de l’Iran.
Jeudi, seulement quelques heures avant que Mariam Shariatmadari ne commence son action, la fameuse armoire électrique de l’avenue Enghelab sur laquelle Vida Movaed, la pionnière, était montée, quant à elle, été aménagée pour empêcher que plus aucune fille n’y monte.
Le Monde