C’est l’un des motifs de tension et d’inquiétude actuels chez les agriculteurs : la carte de France des zones agricoles défavorisées, qui date de plus de quarante ans, va être redessinée.

Cela fait suite à une demande de la Cour des comptes européenne, qui critiquait l’hétérogénéité de ces territoires d’un pays à l’autre, questionnait le maintien de l’éligibilité de certains et préconisait une redéfinition des cartes « en vue de garantir une utilisation efficace des fonds de l’Union et l’égalité de traitement pour les agriculteurs dans l’ensemble de l’Union ».

Le découpage actuel, qui date de 1976, devrait être remplacé au 1er janvier 2019 par une nouvelle carte, que le ministère de l’agriculture présentera d’ici à quelques jours. Mais la réforme est déjà vivement critiquée.

Le ministère a affirmé que 3 555 communes supplémentaires allaient entrer dans le classement et profiter de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) à partir de mars 2019, une aide financière essentielle à certains agriculteurs.

Le nouveau zonage risque toutefois d’en écarter 1 400 autres, autant d’exploitants qui perdront cette indemnité. Les Deux-Sèvres, l’Indre-et-Loire, le Loiret, et le Loir-et-Cher sont, entre autres, les zones où des exploitations risquent d’être écartées du classement.

Le ministère se défend et explique qu’en quarante ans « il y a eu une énorme évolution de l’agriculture sur ces territoires. Une grande partie des handicaps liés à la qualité des sols ont été améliorés ». Deux groupes de travail seront bientôt mis en place pour accompagner les sortants et penser des aides supplémentaires.

Qu’est-ce que l’indemnité compensatoire de handicaps naturels ?

Cette aide, versée à 99 000 agriculteurs en France, est financée à 25 % par l’Etat et à 75 % par le Fonds européen agricole de développement rural, le deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC). Le montant moyen de cette aide, créée en 1975 pour aider les éleveurs situés en zone défavorisée, varie de 5 000 à 15 000 euros par an pour une exploitation. Calculée en fonction du nombre d’hectares « défavorisés », elle dépend également du type de terrain où se situe l’exploitation.

Actuellement, plus de 16 000 communes sont considérées comme des zones agricoles défavorisées, c’est-à-dire des « zones soumises à des contraintes naturelles », qui se découpent en trois catégories :

  • les zones de montagne, automatiquement classées en zones agricoles défavorisées, concernent 58 % des bénéficiaires de l’ICHN. Aucune exploitation située dans ces zones ne sera déclassée à l’issue de la réforme ;
  • les zones défavorisées simples, qui englobent 10 429 communes en France, vont constituer l’essentiel de la réforme sur le nouveau zonage. Pour faire partie de cette catégorie, il faudra désormais qu’au moins 60 % de la surface agricole utilisable d’une commune soit affectée par l’un des huit critères déterminés par l’Union européenne : « basses températures, sécheresse, excès d’eau dans le sol, sols mal drainés, texture et pierrosité du sol, profondeur d’enracinement, propriétés chimiques, pente » ;
  • les zones affectées de handicaps spécifiques désignent des environnements fragiles comme le marais poitevin. Le gouvernement travaille à définir de nouvelles zones « herbagères » et des « zones humides », qui pourront représenter jusqu’à 10 % du territoire national et ainsi éviter de déclasser trop d’exploitations.

Le Monde

En plus de cette indemnité, les agriculteurs peuvent recevoir des aides directes de l’Union européenne qui représentent toujours l’essentiel du budget de la PAC, bien que cette part décroisse régulièrement.

Comment les aides financières de la PAC ont-elles évolué ?

Avec un apport de 19 milliards d’euros en 2015, la France est le deuxième contributeur au budget de la PAC, derrière l’Allemagne. L’Hexagone est par ailleurs le premier bénéficiaire des dépenses relatives à la PAC, et pour cause : il s’agit du premier pays européen en termes de surface agricole utile. En 2015, plus de 9 milliards d’euros ont été attribués à la France pour accompagner les agriculteurs. Une somme importante, bien que la PAC n’occupe aujourd’hui plus que 50 % du budget total de l’Union européenne ; ce qui n’a pas toujours été le cas.

Née du traité de Rome avant sa mise en place, en 1962, la PAC prônait le productivisme, dans un contexte de pénurie où l’Europe n’atteignait pas l’autosuffisance alimentaire. Ses dépenses budgétaires représentaient la quasi-totalité du budget communautaire en 1980, mais les différentes réformes ont fait s’inverser la tendance.

Les mesures de la PAC, visant à accorder des aides aux exploitations en fonction de leur quantité de production, causent une importante surproduction trente ans après sa mise en place. L’institution est accusée de favoriser, par ses aides économiques, les grosses exploitations au détriment des plus petites. Depuis plusieurs décennies, le nombre global de propriétés agricoles décroît, mais le nombre de grosses exploitations, lui, augmente effectivement.

L’Europe lance alors en 2003 une réforme radicale pour découpler production et aides économiques, les aides directes étant remplacées par un paiement unique, indépendant de la quantité de ressources produite. Ces soutiens financiers sont attribués selon dix-huit critères relatifs à l’environnement, la sécurité alimentaire et le bien-être des animaux, ce qui engage aussi un tournant vers une politique de développement rural plus large.

Dernièrement, l’Union européenne a également revalorisé l’ICHN de 15 % et l’a élargie aux producteurs laitiers, ce qui en fait sa plus grande augmentation – avant d’en redessiner les contours d’ici à 2019, déclenchant la colère des agriculteurs concernés.