« Call Me by Your Name » : l’été amoureux de deux garçons
« Call Me by Your Name » : l’été amoureux de deux garçons
Par Isabelle Regnier
Adapté du roman d’André Aciman, le film de Luca Guadagnino sublime la rencontre entre un adolescent et un jeune chercheur en archéologie.
Sensation du dernier festival de Sundance, Call Me by Your Name arrive sur les écrans français nimbé d’une aura de film prodige. Classique dans sa forme, moderne dans sa manière d’aborder une histoire d’amour entre garçons, ce récit de formation, coulé dans une bande originale où Bach dialogue avec Ravel, Sufjan Stevens et John Adams, propulse sur l’avant de la scène son réalisateur, Luca Guadagnino. Adapté du roman Appelle-moi par ton nom, d’André Aciman (Grasset, 336 pages, 20,90 euros), le film se déroule durant l’été 1983 dans la campagne lombarde, où les Perlman passent leurs étés dans une belle demeure. Le père, américain (excellent Michael Stuhlbarg), est professeur d’archéologie et d’histoire de l’art à l’université. La mère (Amira Casar, parfaite comme à son habitude) est franco-italienne, traductrice de profession. Leur fils, Elio (Timothée Chalamet, coqueluche d’Hollywood), 17 ans, est versé dans la musicologie.
Le film commence avec l’entrée en scène d’Oliver (Armie Hammer), splendide créature blonde à l’allure virile qui déboule dans la propriété au volant d’une voiture de sport rouge. Doctorant en archéologie, il vient passer l’été chez les Perlman pour assister le professeur dans ses recherches. Entre Elio et lui, une attraction immédiate produit étincelles et courts-circuits. Rompu à un art du double jeu que se devaient encore de maîtriser, au début des années 1980, les homosexuels de la bonne société WASP (white anglo-saxon protestant, c’est-à-dire « blancs, anglo-saxons et protestants »), le bel étranger mène la danse en soufflant le chaud et le froid et pose les règles du jeu telles qu’il estime qu’elles doivent se jouer : dans l’ombre et le secret. Elio observe le nouveau venu, le flaire, l’approche, se rétracte. Dérouté par sa superbe assurance, son apparent détachement, il transfère son désir sur la jeune Marzia (Esther Garrel)… Avant de se caler sur une même fréquence, il va leur falloir du temps.
Electrisée par les embardées pianistiques de John Adams, par un montage nerveux, tout en coupes sèches, en collages ludiques (mention spéciale à la série de maillots de bain qui gouttent dans la baignoire), cette longue première partie accompagne la montée du désir et le torrent d’émotions contradictoires qu’elle libère chez Elio. Epousant le point de vue de l’adolescent, exaltant les textures et les couleurs en plasticien de la pellicule, Guadagnino érotise la flore en pleine éclosion, les corps dénudés des garçons, autant que la parole qui circule sans cesse.
Michael Stuhlbarg, Timothée Chalamet et Armie Hammer dans « Call Me by Your Name », de Luca Guadagnino. / SONY PICTURES
L’archéologie comme matrice
C’est toute la beauté du film que d’inscrire le coup de foudre dans un biotope complexe qui relie ses personnages à la nature, à la petite société qui gravite autour de la grande maison, mais aussi à un passé millénaire. L’archéologie, de fait, y opère comme une matrice. Elle permet de penser l’identité comme une sédimentation fluide de couches d’histoire et de culture qui ne demande qu’à être fécondée par la rencontre d’une altérité. Et la création comme une métamorphose.
Call Me by Your Name peut ainsi se concevoir comme une relecture du Maurice, de James Ivory, à la lumière du Guépard, de Visconti, dont la beauté élégiaque semble le hanter. L’ethos quasi aristocratique des Perlman, cette aisance qu’ils ont à concilier une ouverture d’esprit et une érudition dignes de Michel Foucault, et un train de vie que ne renieraient pas les Finzi-Contini, a fait d’Elio ce garçon sensible, capable d’accueillir la brûlure de l’amour, d’accepter la vulnérabilité qu’elle révèle chez lui et d’y puiser la force de devenir qui il est.
On pourrait s’agacer de la fascination dont le film témoigne pour cette famille, mais ce serait ignorer le parti pris d’idéalisation délibérée qu’opère ici la fiction. En ravivant le souvenir de cette passion, Call Me by Your Name fait remonter à la surface un paradis perdu : cette époque bénie où l’utopie hédoniste forgée au sein de la communauté gay semblait sur le point de gagner toute la société, à laquelle mit brutalement fin le fléau du sida.
Call Me By Your Name - Bande-annonce - VOST
Durée : 01:58
Film américain, français et italien de Luca Guadagnino. Avec Armie Hammer, Timothée Chalamet, Michael Stuhlbarg (2 h 12). Sur le Web : www.callmebyyourname-lefilm.com et sonyclassics.com/callmebyyourname