LES CHOIX DE LA MATINALE

Un conte écologique, un dessin animé, un documentaire et un polar déjanté au menu de notre liste cinéma ce mercredi.

« Woman at War » : conte écologique en terre d’Islande

Woman at War - Trailer - eng

Halla arpente en guerrière déterminée les paysages islandais, munie de son arc et de ses flèches. Militante écologique qui agit seule, elle vise les lignes à haute tension qui alimentent une industrie locale et polluante de l’aluminium. Le reste du temps, elle mène la vie banale d’une quinquagénaire, professeure de chant. Fait nouveau néanmoins : elle s’apprête à devenir maman. Ce nouveau rôle va la contraindre à abandonner ses entreprises de sabotage. Mais pas avant d’avoir mené une ultime attaque, la plus dangereuse, contre les pollueurs.

Dans ce cadre qui ne perdra pas de vue son propos, ni l’engagement qu’il défend, et en respectant une forme narrative classique, Woman at War se hasarde ensuite à des dérèglements où l’inattendu surgit par des voies (et des voix) diverses. Le film multiplie les pistes et les genres, construit un récit foisonnant. Dans Woman at War, Benedikt Erlingsson trace sa route à sa manière, joyeuse et sérieusement attentive à tout ce qu’il peut relever de cocasse et de grand, d’absurde et de poétique dans la nature humaine. C’est, chez ce cinéaste, cette matière glanée dans l’action qui suscite les sentiments ou les émotions, encourage l’identification. Et finalement fait réfléchir. Véronique Cauhapé

Film islandais, français et ukrainien de Benedikt Erlingsson. Avec Halldora Geirharosdottir, Johann Sigurdarson (1 h 40).

« Les Indestructibles 2 » : la famille Parr surmonte tous les écueils

Les Indestructibles 2 - Bande-anonce officielle

A priori, deux menaces pesaient sur Les Indestructibles 2, que quatorze ans séparent du premier opus : le risque de ne pas pouvoir rattraper son retard par rapport aux prouesses du numérique, et la malédiction du second volet. Or, ces deux écueils, Les Indestructibles 2 les contourne sans difficulté. Plus qu’aucun autre réalisateur de l’écurie Pixar, Brad Bird perfectionne sa mise en scène à mesure que progresse la maîtrise de l’image de synthèse. Mais, surtout, la vision de Bird devient subitement plus éloquente. Son style gagne en sophistication et s’intensifie dans ce mélange de virtuosité et de lucidité qui est devenu sa marque de fabrique.

A la débauche illisible d’effets des productions Marvel, Pixar répond par le travail d’orfèvre de l’action de Bird, qui n’oublie pas que Les Indestructibles pousse sur le terreau du film familial et y revient toujours. De même que le contexte des années 1960 dans lequel prend place l’intrigue est, pour le cinéaste, moins le signe d’une rétromanie gratuite qu’un désir de travailler avec la matière de ses souvenirs d’enfance, qui mêlent comics et films d’espionnage. Enfance et famille, Brad Bird tient fermement ce cap, car il contient l’âme même de sa petite saga ainsi que de la plupart des films Pixar. Jacques Mandelbaum

Film d’animation américain de Brad Bird (1 h 58).

« L’Île au trésor » : la beauté cachée de Cergy-Pontoise

L'ILE AU TRESOR bande annonce officielle

C’est une île-monde aux confins de la banlieue parisienne, un petit coin de paradis, avec ses étangs scintillants, ses rives boisées, ses plages aménagées. Aux beaux jours, les Franciliens viennent de plus ou moins loin pour s’y octroyer un moment de détente. Cet endroit – l’île de loisirs de Cergy-Pontoise –, c’est le territoire que Guillaume Brac explore pour son second long-métrage, qui opère un détour par le documentaire. Il n’en poursuit pas moins le même sentiment que dans ses fictions précédentes : celui de la « vacance », cette poche de temps qui libère l’existence, la rend plus douce, plus cruelle parfois. Or, c’est ce même sentiment qu’on retrouve à la base de Cergy : un concentré de disponibilité, une réserve inépuisable de rencontres, de visages, de conversations et de façons d’être.

Le film vogue au gré de ces découvertes, passant d’adolescents dragueurs en retraités nostalgiques, de plongeurs turbulents aux agents de prévention décontractés, de resquilleurs aux as du barbecue… Ainsi rassemblés, les plaisanciers composent un portrait mixte et bigarré de la France d’aujourd’hui, une petite Babel à ciel ouvert où se croisent diverses cultures, langues et provenances. Mathieu Macheret

Documentaire français de Guillaume Brac (1 h 37).

« Au poste ! » : une enquête policière qui donne le vertige

AU POSTE Bande Annonce Teaser # 3 (2018) Grégoire Ludig, Benoît Poelvoorde, Comédie

Ce doit être une toute petite déchirure dans l’espace-temps, que l’on traverse sans s’en rendre compte. D’autant moins que de l’autre côté, rien ne sort a priori de l’ordinaire. On est dans un hôtel de police, la nuit. Un officier interroge un témoin, qui est peut-être un suspect. Un nez non averti croira reconnaître le parfum de renfermé, confortable et légèrement toxique de vieux films français, Garde à vue de Claude Miller, pour n’en citer qu’un. Sauf qu’ici, rien ne marche. A chaque fois qu’on croira reconnaître un de ces repères qui vous guident au cinéma, le sol se dérobe. Le représentant de la loi conduit son interrogatoire en dépit du bon sens, le suspect fait preuve d’une équanimité surprenante. En avançant, la nuit dévore le sentiment de familiarité pour laisser le spectateur aux prises avec les mots, les clichés, les acteurs disposés en un ordre qui n’en est plus un.

Quentin Dupieux travaille sur le langage avec une application de dramaturge. Dans l’espace confiné de l’hôtel de police, les mots tombent comme des cascades dont le cours n’est jamais prévisible. Et aussi réceptif que l’on soit à l’humour de Dupieux et de sa troupe, on n’est pas pour autant immunisé contre l’inquiétude qui parcourt Au poste ! La pirouette finale n’y changera rien, on est forcé de se demander si ce non-sens n’est pas finalement beaucoup plus proche de la réalité que bien des documentaires. Thomas Sotinel

Film français de Quentin Dupieux. Avec Benoît Poelvoorde, Grégoire Ludig, Marc Fraize, Anaïs Demoustier (1 h 13).