Editorial du « Monde ». Laurent Wauquiez, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont dénoncé en chœur, ces derniers jours, les attaques dont ils se disent les victimes. Ainsi, l’on a entendu le leader de La France insoumise témoigner sa sollicitude au président des Républicains, avant que la présidente du Front national ne tende une main solidaire aux deux premiers. Et quel est l’adversaire contre lequel ils forment cet insolite front commun ? Les médias, qu’ils accablent des critiques les plus cinglantes.

Epinglé après les propos intempestifs qu’il avait tenus devant des étudiants à Lyon, M. Wauquiez a dénoncé le « déchaînement médiatique surréaliste », le violent « défouloir » et le « travail de démolition » dont il s’estime « la cible ». Ulcéré que les journalistes aient jugé de leur devoir d’informer que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques avait certes validé le compte de sa campagne présidentielle, mais également souligné de nombreuses irrégularités et 430 000 euros de dépenses insuffisamment justifiées, M. Mélenchon a été beaucoup plus loin.

« Meute médiatique »

Sur son blog, le 26 février, le député de Marseille s’est en effet livré à une charge d’une violence ahurissante : les informations en question ne sont, à ses yeux, que « basse besogne », « coup monté », « bourrage de crâne » et « manipulation » de la « CIA médiatique »… Suit un réquisitoire digne de Saint-Just. « La presse est la première ennemie de la liberté d’expression », elle est « le dernier pouvoir absolu », qui plus est « d’essence complotiste », écrit-il, avant de conclure : « La haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine. » Bref, le journaliste, voilà l’ennemi !, a-t-il théorisé devant les députés de La France insoumise, comme nous le rapportons aujourd’hui dans ces colonnes. Quant à Mme Le Pen, elle a fait depuis longtemps de la dénonciation de « l’acharnement » de la « meute médiatique » l’un de ses thèmes favoris.

Nous en sommes là. Les responsables de trois des quatre principaux partis politiques nationaux – ensemble, ils ont réuni quelque 60 % des voix à l’élection présidentielle – ne trouvent rien de plus urgent et de salutaire que de déclarer la guerre aux médias. Et il convient d’ajouter, même si c’est dans un registre différent, que le président de la République n’hésite pas à jouer sur une corde similaire. Il y a peu, en aparté lors d’une réunion avec des parlementaires de la majorité, ne fustigeait-il pas cette « honte de la République » que constitue apparemment, à ses yeux, le fonctionnement ou la production de l’audiovisuel public ?

Affligeant constat. Non que les médias soient au-dessus de tout reproche. Qui peut y prétendre ? Mais cela ne saurait justifier de passer par pertes et profits la mission permanente à laquelle ils s’emploient : informer scrupuleusement, enquêter solidement, raconter honnêtement, décrypter aussi intelligemment que possible la réalité, au service de leurs lecteurs ou auditeurs. Bref, transmettre la culture, nourrir la lucidité des citoyens.

Inquiétant constat. Car il suffit de rappeler combien la presse reste muselée, censurée, voire embastillée, dans tous les pays autoritaires ou illibéraux du monde pour savoir que l’information est un ressort essentiel de la démocratie. Un contre-pouvoir indispensable à sa vitalité. Que nos éminences politiques ne le supportent pas, au point de jeter les journalistes en pâture, est le symptôme d’une démocratie défaillante.