Réforme de la SNCF : « Le statut de cheminot n’est pas la raison de tous les maux du système ferroviaire français »
Réforme de la SNCF : « Le statut de cheminot n’est pas la raison de tous les maux du système ferroviaire français »
Alors que commencent les négociations entre le gouvernement et les syndicats sur l’ouverture à la concurrence et le statut de cheminot, Eric Béziat, journaliste spécialiste des transports, a répondu à vos questions.
Rassemblement du personnel SNCF de la région Nouvelle Aquitaine, à Bordeaux, mercredi 28 février. / Jean-Claude Coutausse pour Le Monde
Marc : Pourquoi y a-t-il urgence, d’après le premier ministre, Edouard Philippe, à réformer la SNCF ? Quelle est la situation du ferroviaire en France, par rapport à nos voisins allemand et britannique ?
Eric Béziat : Ses arguments : une dégradation de la qualité de service (retards, ralentissements, pannes géantes comme à Montparnasse, à deux reprises, en 2017) et un coût très élevé pour les finances publiques au sens large (en incluant aussi les dépenses des collectivités locales) : 10,5 milliards d’euros par an de subventions, 3,5 milliards pour payer les retraites des cheminots et 3 milliards d’augmentation de la dette. Au total, plus de 17 milliards d’euros par an.
Marie G : Les syndicats sont-ils tous opposés à cette réforme ?
Oui. Tous les syndicats représentatifs (CGT, UNSA, SUD Rail, CFDT ainsi que FO Cheminots) y sont opposés, en particulier depuis que le gouvernement a annoncé qu’il légiférerait par ordonnances.
FB : Qu’est-ce que le statut de cheminot ? Quels avantages comporte-t-il ?
Il s’agit d’une série d’avantages connus sous le nom de « statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel », qui sont compilés dans la directive RH 0001. Celle-ci définit un ensemble de règles qui régissent les conditions d’entrée dans l’entreprise, la rémunération, le déroulement des carrières, les sanctions, la mobilité, les congés, les conditions de cessation de fonction, l’Assurance-maladie et le droit syndical.
Les principaux avantages sont :
- L’absence de licenciement pour motif économique, ce qui signifie que le statut vous garantit l’emploi à vie, sauf en cas de faute.
- Une hausse de rémunération automatique et un déroulé de carrière garanti à condition de se former.
- Un régime de retraite avantageux, qui permet de partir avec une pension calculée sur les six derniers mois de salaire entre 52 ans ou 57 ans, selon que vous êtes roulant ou sédentaire, à condition d’avoir atteint la durée de cotisation requise.
- Une protection sociale avantageuse, avec un réseau de médecins généralistes et spécialistes que l’on peut consulter gratuitement et sans avance de frais.
- Le train gratuit (appelé facilités de circulation) et des billets gratuits ou à vil prix pour les membres de la famille. A noter que ce dernier avantage n’est pas lié au statut.
Antoine : Supprimer le statut fera-t-il arriver les trains à l’heure ? Est-il la raison du manque d’investissement dans les lignes régionales ?
Le statut de cheminot n’est pas la raison de tous les maux du système ferroviaire français. Il n’est en aucun cas la raison d’un manque d’investissement dans les petites lignes, qui est davantage dû à la raréfaction de l’argent public et à l’aimantation vers le TGV des investissements ferroviaires ces trente dernières années. Pas plus qu’il n’est la cause des retards des trains.
Cependant, certains observateurs, que l’on rangera parmi les plus libéraux, considèrent que certains éléments du statut (emploi à vie, augmentations automatiques) ne créent pas les incitations nécessaires au fonctionnement efficace d’une entreprise. Pour dire les choses plus crûment, il est plus difficile de mettre la pression à des salariés sous statut qu’à des employés classiques. C’est, d’après mes informations, une opinion partagée par la direction de la SNCF.
curieux49 : Est-il possible aujourd’hui de donner les origines des 54,5 milliards d’euros d’endettement de la SNCF ? Et de permettre ainsi de savoir si celui-ci est dû en partie au statut particulier des cheminots ?
L’accélération de la hausse de la dette est avant tout due aux décisions d’investissement dans de nouvelles lignes TGV, en particulier en 2007, lors du « grenelle de l’environnement ». Ces décisions, qui sont des décisions d’Etat, ont été prises dans un contexte économique dégradé pour le modèle TGV. En particulier, en raison de la hausse du coût de l’infrastructure (4,9 millions d’euros actuels du kilomètre pour Paris-Lyon en 1981, contre 23 millions du kilomètre pour Tours-Bordeaux en 2015). Celle-ci a entraîné une augmentation des péages, qui a rendu le TGV nettement moins profitable, voire déficitaire sur certaines lignes.
Faire du statut des cheminots le principal responsable de la dette est une erreur. Cela dit, celui-ci a probablement empêché une partie des gains de productivité d’améliorer la situation en renchérissant les coûts d’exploitation. L’augmentation moyenne des salaires a été, entre 2003 et 2012, systématiquement supérieure à l’inflation.
Le statut des cheminots n’est donc pas la cause principale de l’endettement, mais il participe, pour une part minoritaire, mais réelle, d’un système ferroviaire cher et déficitaire.
Mathilde : Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les conditions d’ouverture à la concurrence et les conséquences directes pour la SNCF ?
Il y a deux ouvertures à la concurrence, celle sur le train commercial (le TGV) et celle sur les lignes régionales de service public subventionnées.
- Dans la première, les concurrents (Deutsche Bahn, Trenitalia) proposeront des liaisons à grande vitesse dans leurs propres trains, par exemple sur la ligne Paris-Lyon, en plus des TGV SNCF (InOUI et Ouigo). Dans ce cas, la SNCF prend un risque sur sa part de marché commerciale (aujourd’hui à 100 %), mais, d’une certaine manière, chacun reste chez soi.
- Dans le deuxième cas, les régions (qui gèrent les TER et le Transilien pour la région Ile-de-France) mettront sur le marché des lignes ou des ensembles de lignes par le biais d’appels d’offres. Dans ce cas, la SNCF peut perdre le marché, et l’ensemble des salariés exploitant la ligne (conducteurs, chefs de gare) passent dans l’entreprise gagnante tout en conservant les caractéristiques de leur contrat de travail. Et, donc, leur statut.
PM : Guillaume Pepy, qui dirige la SNCF depuis 2008, n’est-il pas également responsable des déboires de l’entreprise ? Pourquoi le gouvernement a-t-il confiance en lui ?
M. Pepy a répondu aux attentes (souvent contradictoires) des pouvoirs publics depuis qu’il dirige la SNCF : plus de trains partout, moins chers. Il a en particulier tenter de faire baisser les coûts par une diminution des effectifs (12 000 cheminots en moins depuis qu’il est à la tête de la SNCF, soit – 7,5 % depuis 2008).
Il a entrepris une modernisation numérique de la SNCF, il a créé des centaines de filiales pour essayer de faire de la SNCF une entreprise plus agile et présente sur tous les marchés.
Le gouvernement pourrait à bon compte faire (symboliquement) tomber sa tête et la montrer au peuple mécontent des retards et du coût des billets, mais cela ne changerait pas grand-chose sur le fond. Un autre prendrait sa place, qui ferait probablement la même chose peu ou prou.
Brigitte : En Allemagne et au Royaume-Uni, les prix des billets de train acquittés par les usagers sont bien plus chers qu’en France. Une des conséquences de cette réforme pourrait-elle être la hausse des prix en France ?
En effet, dans les pays que vous citez, la réforme a entraîné une baisse des coûts, une hausse de la qualité de service, mais pas une baisse des prix des billets, et parfois même des augmentations.
En fait, pour la réforme française, tout dépendra du niveau d’argent public que nous, en tant que nation, accepterons de mettre dans le système ferroviaire. Ce dernier garde, ne l’oublions pas, de beaux atouts. C’est un transport décarboné, extrêmement efficace, dès lors qu’il s’agit de transporter beaucoup de monde en même temps.
La Suisse est une magnifique réussite en la matière (y compris pour le transport de marchandises), mais les concours publics y sont – rapportés au nombre d’habitants – une fois et demi supérieurs à ceux observés en France.