TV – « Seven Seconds », implacable et bouleversante
TV – « Seven Seconds », implacable et bouleversante
Par Renaud Machart
Notre choix du soir. Cette série sociopolitique se place au niveau et dans la continuité de la remarquable « American Crime » (sur Netflix à la demande).
Seven Seconds | Official Trailer [HD] | Netflix
Durée : 02:12
Les trois saisons d’American Crime (2015-2017), créée par John Ridley, avaient témoigné qu’une grande chaîne nord-américaine, ABC, était capable de présenter, en première partie de soirée, une série sociopolitique exigeante et hautement critique à l’égard des Etats-Unis d’aujourd’hui.
Elle avait de même programmé, il y a un an, When We Rise, la mini-série créée par Dustin Lance Black, qui narrait l’émergence, la constitution et la politisation du mouvement LGBTQ aux Etats-Unis. Production également remarquable dont le pilote avait été réalisé par Gus Van Sant.
En dépit de l’excellent accueil critique d’American Crime – diffusée en France, comme When We Rise, par Canal+ –, le public n’a pas suivi en nombre suffisant ce chef-d’œuvre pour qu’une quatrième saison soit envisagée. C’est en fait Netflix qui, depuis le 23 février, la propose.
Seven Seconds, créée par Veena Sud, n’est pourtant structurellement en rien liée à American Crime. Mais, par ses thématiques sociopolitiques du même ordre, elle en semble la parfaite descendante ou continuatrice : un adolescent afro-américain est renversé par la voiture d’un policier en civil (le kaléidoscopique Beau Knapp) qui se rend en hâte à l’hôpital où sa femme accouche. Lorsqu’il constate l’accident, il appelle son supérieur, qui vient sur les lieux avec deux autres collègues en civil de la brigade des stups de Jersey City (New Jersey).
Une fine peinture psychologique
Craignant les retombées de cette affaire sur l’opinion publique, déjà échauffée par de nombreux cas d’accidents meurtriers mettant en cause des policiers blancs et des victimes noires, la patrouille quitte les lieux en laissant pour mort le garçon dans un fossé. De toute façon, ainsi que le dit le veule flic incarné par David Lyons, on embête rarement les policiers compromis dans de telles affaires.
Les dix longs épisodes (entre 54 et 80 minutes) montrent à la fois l’enquête menée par le substitut du procureur et le policier qui l’assiste (les formidables Clare-Hope Ashitey et Michael Mosley, sorte de Columbo subtilement vulgaire et faussement désabusé), les doubles jeux et les compromissions de la police, les épouvantables détresses de familles afro-américaines impuissantes face à une justice scandaleusement biaisée.
Clare-Hope Ashitey dans « Seven Seconds », une série créée par Veena Sud. / JOJO WHILDEN/NETFLIX
De sorte que, d’une manière parfaitement équilibrée, les ressorts et les rebonds d’un thriller sociopolitique cohabitent avec une fine peinture psychologique de personnages à la dérive : la mère de la victime, incarnée par la grande et intense comédienne Regina King, dont la présence dans Seven Seconds accentue encore le lien avec American Crime, où elle jouait chaque saison un rôle éminent ; l’oncle, soldat qui rentre du Moyen-Orient et se retrouve laissé pour compte de la société ; le substitut du procureur, alcoolique et dépassé par une tâche qui ressemble à une peine perdue tant les bâtons dans les roues s’accumulent.
La charge implacable de Seven Seconds ne fera pas plaisir au pouvoir en place aux Etats-Unis, à la police, à la justice et aux conservateurs blancs. Elle paraîtra peut-être extrême et unilatérale, mais l’actualité nord-américaine lui donne – hélas ! – raison.
Cette série – dont le deuxième épisode est signé par Jonathan Demme, le réalisateur du Silence des agneaux (1991) et de Philadelphia (1993), mort peu après ce tournage – est avant tout bouleversante.
Seven Seconds. Série créée par Veena Sud. Avec Clare-Hope Ashitey, Regina King, Beau Knapp, David Lyons (EU, 2018, 10 × 54-80 min.) Sur Netflix.