Une affiche montrant Xi Jinping, à Pékin, le 2 mars. / Mark Schiefelbein / AP

Editorial du « Monde ». Il fut un temps, pas si lointain, où le président Xi Jinping promenait sur un parterre de PDG admiratifs un regard bienveillant de libre-échangiste radieux. C’était en janvier 2017, et l’Occident avait envie d’y croire. Donald Trump prenait ses quartiers à la Maison Blanche, au terme d’une campagne virulente qui avait voué aux gémonies multilatéralisme et mondialisation. Le président chinois, lui, prononçait à Davos le discours que l’on aurait aimé entendre d’un président américain. Il se posait en champion des valeurs d’un monde ouvert, et son auditoire était conquis.

Treize mois plus tard, la magie a disparu. Le vrai visage de Xi Jinping n’est plus celui du défenseur enthousiaste du libre-échange heureux, mais celui d’un dirigeant aspirant à un pouvoir personnel sans limites. Dimanche 25 février, l’agence officielle Xinhua a annoncé que le Parti communiste chinois (PCC) proposait d’abandonner la règle de la limite de deux mandats consécutifs pour le poste de chef de l’Etat, poste que M. Xi occupe depuis 2013. En clair, l’abandon de cette règle permettra à son actuel titulaire, qui est aussi secrétaire général du PCC et président de la commission militaire centrale, de se maintenir à la tête de l’Etat au-delà de 2023, lorsque prendra fin son deuxième mandat. Ses deux autres fonctions n’étant pas statutairement limitées dans le temps, Xi Jinping, 64 ans, peut ainsi imaginer conserver indéfiniment tous les leviers du pouvoir en régnant sur l’Etat, le parti et l’armée.

Dans un pays de 1,4 milliard d’habitants qui est déjà la deuxième économie mondiale, cela fait beaucoup pour un seul homme. Deng Xiaoping, le père de la réforme, avait quelque raison d’introduire la limite à deux mandats, dans les années 1980 : le long règne de Mao, de 1949 jusqu’à sa mort, en 1976, et les tragédies de la Révolution culturelle avaient montré les dérives du pouvoir illimité. Il fallait à la Chine, pensait Deng, une « direction collective », pour prévenir « la concentration excessive du pouvoir ».

Emprise personnelle

Xi Jinping rompt avec cette sage doctrine. Loin de démocratiser la Chine, ses réformes vont toutes dans le même sens, celui de l’opacité et de la concentration du pouvoir. Le 19congrès du PCC, en octobre 2017, avait déjà consolidé son emprise personnelle sur l’organisation en associant son nom et sa théorie politique à la constitution du parti : sa « Pensée sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère » est désormais la doctrine officielle.

Le numéro un chinois contrôle aussi de la manière la plus ferme qui soit les médias et l’éducation. Les dissidents sont pourchassés sans pitié. Les modes d’expression liés à Internet font l’objet d’une vigilance particulière. Les avancées technologiques chinoises, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle, lui permettent une surveillance de plus en plus sophistiquée de ses concitoyens.

Quelques optimistes feront valoir que dans un pays aussi peuplé, transformé par des mutations aussi gigantesques, la stabilité du pouvoir peut présenter des avantages. Pour les démocraties occidentales, l’autoritarisme désormais sans limites de Xi Jinping, ajouté à celui de Vladimir Poutine, qui s’apprête à entamer son quatrième mandat, enterre l’illusion post-guerre froide selon laquelle l’ouverture économique mène à la démocratie. Mais là n’est pas le plus grave : le vrai danger de ces régimes pour le monde est celui de leur nationalisme, défendu d’une main de fer.