Elections en Italie : « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on repart de zéro »
Elections en Italie : « Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on repart de zéro »
Le correspondant du « Monde » à Rome a répondu à des questions d’internautes au lendemain de scrutins parlementaires remportés par les « forces antisystème ».
Le Monde
A l’issue du vote des Italiens, dimanche 4 mars, pour élire députés et sénateurs, aucune majorité parlementaire claire n’a émergé lundi matin. Avec 32 % des voix, le Mouvement cinq étoiles (M5S) est arrivé en tête, tandis que la coalition de droite et d’extrême droite obtient près de 37 % des voix, selon des résultats partiels. Au cours d’un tchat, le correspondant du Monde à Rome, Jérôme Gautheret, a fait le point avec des internautes.
Gultyx : Les deux présidents des partis arrivés en tête, Ligue et M5S, ont dit vouloir gouverner. Mais chacun a refusé une alliance avec l’autre. Quelles sont alors les possibilités ?
Jérôme Gautheret : Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que, depuis ce matin, on repart de zéro. Les discussions vont commencer, et elles prendront quelques semaines. Il ne faut pas accorder trop d’importance aux déclarations passées. Toutes les configurations seront étudiées. Franchement, rien n’est impossible. Y compris une absence prolongée de gouvernement, avec de nouvelles élections à la fin de l’année.
Ces derniers mois, c’est la possibilité d’une alliance du M5S et de la Ligue du Nord qui suscitait les inquiétudes les plus profondes dans les milieux économiques et à Bruxelles. Aujourd’hui, je pense que c’est hautement improbable, d’abord parce que les Cinq étoiles sont en plein recentrage européen, ensuite parce que dans un tel ensemble, la Ligue du Nord ne serait qu’une force d’appoint, et que son chef, Matteo Salvini, n’a rien à gagner à ça.
Ce qu’il va falloir regarder, car c’est un grand classique de la politique italienne, ce sont les scissions en tout genre qui risquent de s’opérer dans les prochains jours. En ayant en tête une idée : des Cinq étoiles et de la Ligue, c’est la formation qui fera le moins peur qui rassemblera le plus facilement autour d’elle.
Ra’ton : La gauche va-t-elle sérieusement accepter de laisser l’extrême droite gouverner en refusant toute alliance pour sa « cure d’opposition », ou peuvent-ils, comme le SPD en Allemagne, finalement se décider à négocier avec le Mouvement 5 étoiles ?
La pression sera très forte à gauche pour rejeter à tout prix la possibilité d’un gouvernement dominé par l’extrême droite. Après une telle claque, la cure d’opposition est un réflexe naturel, mais il faut prendre conscience que ce genre de raisonnement est peu conforme à la tradition italienne, qui tend à fabriquer des consensus les plus larges possible. Ici, on fait des coalitions pour s’assurer une part du pouvoir, et quand on peut gouverner, on gouverne. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que le gouvernement Gentiloni n’est pas tombé. Autrement dit, tant qu’il n’y a pas de majorité, il continue d’exister.
B : Peut-on dire quelque chose à propos de la répartition spatiale du vote ?
C’est un des résultats les plus saillants du scrutin : au sud de Rome, le M5S est en position majoritaire ; au nord, c’est la droite, et au sein de la droite, la force dominante est la Ligue. Pour le reste, les centres des grandes villes sont les seuls endroits où le Parti démocrate aura limité la casse : le parti de centre gauche est même en tête à Milan.
Otto : Constitutionnellement, que peut faire le président de la République, Sergio Mattarella ?
Son rôle est essentiel : c’est en effet lui, et lui seul, qui aura la responsabilité de nommer la personnalité selon lui la plus à même de gouverner. Par ailleurs, M. Mattarella est un modéré, et sa mission institutionnelle est de… sauvegarder les institutions. Dans les prochains jours, il fera tout pour éviter les configurations trop aventureuses.
Pascal : Quel a été le thème central de ces élections ? L’économie, le social, l’immigration ?
Vu que la conjoncture s’est considérablement améliorée ces derniers mois, l’économie n’a pas été centrale dans la campagne, sauf sous la forme d’une surenchère inédite de promesses de baisses d’impôt. Le sujet qui a dominé les discussions, et qui explique en grande partie le résultat de la Ligue, c’est l’immigration. Dossier sur lequel l’Europe n’a pas brillé ces dernières années par sa solidarité envers l’Italie, et qui aura contribué à faire monter toutes les forces eurosceptiques.
Sans doute Matteo Salvini doit-il à Bruxelles une bonne partie de son succès. S’agissant des Cinq étoiles, je serais en revanche plus prudent. Ce mouvement est profondément italien, et très lié à l’histoire politique du dernier quart de siècle. Ses dynamiques sont avant tout internes, dans le rejet de la corruption, de la « caste » et d’une société bloquée.
Vu de Troyes : Quel est l’état d’esprit à Bruxelles vis-à-vis de l’Italie en ce moment ?
Pour l’heure, ce qui est frappant c’est l’absence de panique, tant à Bruxelles que sur les marchés. A la Commission, on espère sans doute que la raison l’emportera, et on parie que personne n’a intérêt à provoquer une crise majeure, alors que l’UE semble enfin relever la tête.
Doudidou : Mais d’où vient cette loi électorale si compliquée que les Italiens ont tenté (en vain) de simplifier en 2017 ? Ages différents pour voter pour les députés et les sénateurs, nominations directes, vote pour un parti…
L’âge différent pour voter est une tradition qui vient de loin. Pour le reste, le « Rosatellum » a été conçu à l’automne dernier pour favoriser les formations capables de constituer des alliances (en premier lieu le PD et Forza Italia, donc) et pour barrer la route aux Cinq étoiles. C’est une loi qui ne répond qu’à des raisons d’opportunité. Et dont chacun pourra constater que la principale victime est le PD, qui l’a conçue !
Alias Renzi : Quel est le background de Luigi Di Maio, le chef de file du M5S ? A-t-il les compétences pour gouverner ?
Le background ? Il est plus que léger. M. Di Maio est né en 1986, il est entré au Parlement à 26 ans, en 2013. Avant cela, il n’a aucune expérience ou presque hors de la politique. Ses opposants ne manquent pas de le rappeler, en même temps qu’ils moquent son peu de culture générale et sa maîtrise approximative du subjonctif… Mais pour être tout à fait honnête, un Renzi ou un Salvini n’ont pas beaucoup plus d’expérience professionnelle, ils sont tous entrés en politique avant 20 ans, pour ne jamais faire rien d’autre. Et de l’avis général, M. Di Maio a bien rempli son rôle de vice-président de la Chambre.
Vincent : Quel est le rôle d’un Silvio Berlusconi, qui ne peut pas être élu ? Quels sont les autres leaders possibles au sein de Forza Italia ?
Silvio Berlusconi n’a fait aucune apparition publique depuis dimanche soir. Jusque-là, il pouvait dire qu’en 2011, il n’avait pas été chassé par les urnes, ce qui était parfaitement exact. Mais cette fois-ci, c’est désastreux. Il est très difficile de l’imaginer rester en politique après cette humiliation. A vrai dire, c’est l’avenir de Forza Italia tout entière qui est en suspens : au fil des années et des épurations, le parti en était venu à ne plus être que le rassemblement des amis de Berlusconi, et toutes les figures charismatiques qui auraient pu rivaliser avec lui sont parties, ou ont été évincées. Autrement dit, Forza Italia n’est plus qu’une coquille vide, et risque bien dans les prochaines semaines de changer en profondeur.
Alias Renzi : Comment expliquez-vous que les expériences très mitigées de gestion M5S (je pense en particulier à la mairie de Rome) n’aient pas eu de conséquences négatives sur le vote, au contraire ?
L’envie d’envoyer promener les élites politiques traditionnelles aura été la plus forte…
Résultats élections Italie / Le Monde