Thiago Silva, le 28 février au Parc des Princes. / FRANCK FIFE / AFP

Sa mise à l’écart, lors du match aller, constituait un pari sportif et s’avérait risquée sur le plan politique. Relégué sur le banc des remplaçants par son entraîneur Unai Emery, le défenseur Thiago Silva, 33 ans, n’avait pas caché son dépit au stade Santiago-Bernabeu. Au point de sécher la séance d’échauffement avant la défaite (3-1) du Paris-Saint-Germain sur la pelouse du Real Madrid. Capitaine du club de la capitale depuis 2012, le Brésilien a vécu cet épisode comme une disgrâce et une marque de défiance.

Retrouvera-t-il sa place de titulaire, mardi 6 mars, au Parc des Princes, lors du huitième de finale retour de Ligue des champions ? Prudemment, Unai Emery n’a pas indiqué si « O Monstro » (« le monstre ») commencerait la rencontre en charnière centrale aux côtés de son compatriote Marquinhos, de retour de blessure. « Pour moi, le choix est très difficile, a déclaré le Basque, qui avait fait confiance à aller au jeune Presnel Kimpembé (22 ans). Si les trois sont prêts, on décidera en confiance avec eux, mais aussi avec les petits détails induits par ce match. »

Quels détails au juste ? En termes d’expérience, Thiago Silva part avec une bonne longueur d’avance. Rompu aux joutes en « haute altitude », soutenu par le clan « brésilien » (Dani Alves, Neymar) au sein du vestiaire, le trentenaire a donné l’impression de rebondir après sa mésaventure de Bernabeu. En attestent ses bonnes prestations et son autorité retrouvée lors des deux derniers clasicos victorieux face à l’Olympique de Marseille.

A fleur de peau

Personnage secret et tourmenté, réputé en interne pour son professionnalisme et sa capacité à s’infliger des heures supplémentaires de préparation, l’ex-joueur du Milan AC s’est aussi distingué par sa propension à craquer nerveusement lors des matchs capitaux. Tout a été écrit sur ses infortunes lors de la Coupe du monde 2014, organisée dans son pays. Outre sa rageante suspension lors de la débâcle (7-1) de la Seleçao face à l’Allemagne, en demi-finales du tournoi, Thiago Silva avait affiché ses faiblesses lors de l’anxiogène séance des penaltys contre le Chili, en huitièmes de finale. Il s’était alors isolé pour aller prier, au bord des larmes. L’élégant défenseur apparaissait alors à la face du Brésil comme un leadeur sans charisme et dépourvu de courage, un taulier à fleur de peau, un général flanchant dès le premier obstacle.

Les nerfs en capilotade, le défenseur avait également failli, en 2017, lors de la double confrontation contre le Barça, en huitièmes de finale de Ligue des champions. Forfait à l’aller en raison d’une blessure constatée à la dernière minute, il s’était liquéfié au Camp Nou, incapable d’endiguer la remontada (« remontée ») des Blaugrana, victorieux (6-1) dans un stade en fusion.

Recruté pour 42 millions d’euros (+ 7 millions de bonus) à l’été 2012 par le PSG de Qatar sports investments (QSI), le Carioca a pourtant parfait, en France, sa réputation de « meilleur défenseur du monde ». Un titre que lui décerna, à son arrivée, son compatriote Leonardo, alors directeur sportif du club parisien. Très proche de Nasser Al-Khelaïfi, le président du PSG, le Brésilien symbolise les heures de gloire de l’écurie de la capitale (son but de la tête qui qualifie son équipe contre Chelsea, en huitièmes de Ligue des champions, en mars 2015) mais aussi ses déboires et frustrations sur la scène européenne.

Thiago Silva après son but face à Chelsea, le 11 mars 2015. / Toby Melville / REUTERS

Incarnation de l’institution PSG

Cet ultraperfectionniste incarne également « l’institution PSG », se complaisant dans son rôle de capitaine. « Le rôle du capitaine n’est pas seulement sur le terrain, expliquait-il au Monde, en 2017. En dehors, c’est aussi compliqué. Tous les joueurs sont différents. Vous devez savoir comment leur parler. Chacun reçoit les messages différemment. Vous devez avoir l’intelligence de comprendre le joueur, de savoir comment lui parler. Au PSG, on est le leadeur de grands joueurs, avec de grandes personnalités. La gestion des ego est importante. On cherche toujours à rappeler que le plus important, c’est le collectif, et pas l’individu. Le capitaine doit être suffisamment malin pour capter l’attention, diffuser de la sérénité, sans être brutal. »

Doté d’un tempérament réservé, le capitaine peut aussi s’agiter, comme le rappelait, avec une pointe d’acidité, le milieu de terrain Adrien Rabiot dans un entretien à L’Equipe Magazine, le 9 février.

« Thiago Silva s’énerve parfois. A la mi-temps ou à la fin des matchs, quand cela ne s’est pas passé comme il aurait fallu, il peut vite monter dans les tours. C’est donc important dans ces moments-là que des joueurs prennent la parole pour calmer, rassembler et relativiser. Et apporter des ondes positives. »

Le Brésilien, qui entretient une relation très fraîche avec Unai Emery, arrivé aux commandes de l’équipe à l’été 2016, sait jouer de ses réseaux en interne et de sa proximité avec les cadres du vestiaire (Thiago Motta) comme il le fit au Milan AC. Au point de devenir le chouchou de Silvio Berlusconi, alors propriétaire du club.

Pour appréhender les fêlures du Brésilien, il faut revenir sur son parcours cahoteux. Avant de rayonner sur les terrains de la Serie A italienne et de la Ligue 1 française, l’arrière à la tignasse charbonneuse a connu une parenthèse chaotique au Dynamo Moscou (2004-2005), où on lui détecta, à 20 ans, la tuberculose. De son séjour en isolement dans un hôpital moscovite décati, il garde un souvenir horrifié : « En 2005, la tuberculose a été l’une des pires choses de ma vie », répète-t-il en boucle.

Après avoir donné le sentiment d’être passé à côté de l’histoire avec la Seleçao, celui qui se rêvait en successeur de Dunga et de Cafu, les deux derniers capitaines du Brésil à avoir soulevé la Coupe du monde, Thiago Silva a su rebondir en sélection. S’il est barré par le tandem Marquinhos-Miranda, le trentenaire figure dans la liste des 15 joueurs déjà convoqués par Tite, le patron de la Seleçao, pour le prochain Mondial en Russie.

Insaisissable capitaine d’un PSG sur la corde raide, le Brésilien est à la croisée des chemins avant la réception du Real Madrid de Cristiano Ronaldo. Si d’aventure il menait brillamment la révolte de ses coéquipiers et parvenait à renverser les Galactiques, ce stakhanoviste inscrirait son nom dans l’histoire. Dans le cas contraire, il incarnerait définitivement les échecs européens d’un club incapable de percer le plafond de verre qui circonscrit ses ambitions en Ligue des champions.