L’avis du « Monde » – à voir

Tariq Teguia (Revolution Zendj, 2013), Hassen Ferhani (Dans ma tête un rond-point, 2015), Karim Moussaoui (En attendant les hirondelles, 2017)… N’insistons pas sur l’impression de regain légèrement miraculeux qui, grâce aux individus précités, souffle fort d’Algérie depuis quelques années. Bien sûr, tout se jouera sur la durée. Rien n’est gagné d’avance, d’autant qu’on a connu des contextes plus favorables au développement artistique. En attendant de voir, on peut toujours noter le nom de Djamel Kerkar, et l’ajouter à cette liste provisoire.

Son premier long-métrage, remarqué voici deux ans dans cet excellent festival qu’est le FIDMarseille, s’est frayé – là encore, petit miracle véhiculé par Capricci – un chemin jusqu’aux salles. C’est du cinéma brut, un film document, élaboré par une mise en scène qui prend le temps de faire parler les choses, troue la parole pour mieux la sertir. Le lieu se nomme Ouled Allal. A mi-chemin entre Alger et le maquis du Groupe islamique armé (GIA), la ville est, à partir de 1992, à feu et à sang. Sa population la déserte, laissant derrière elle un village en ruines.

Chassés par les islamistes

Djamel Kerkar y est retourné aujourd’hui pour voir s’il y avait âme qui vive, et si ces âmes parlaient. Filmant longuement les ruines et les bâtiments en construction, les arbres abattus, la nature traumatisée et pourtant renaissante, le vent qui souffle, un chien qui joue, des hommes qui tentent comme ils peuvent de se reconstruire, il nous rapporte dans ce film âprement ressenti le fruit de trois rencontres essentielles. Trois hommes, de générations différentes, chassés de chez eux par les islamistes, qui nous disent qu’avoir vingt ans en Algérie, c’est faire, peu importe la date à laquelle on les vit, l’expérience stoïque de la guerre, de la pauvreté, de la souffrance.

Le plus ancien, qui a vécu l’indépendance et qui a pris les armes contre les islamistes, porte sur lui les stigmates de ses guerres, mais reste viscéralement attaché à sa terre et à son village. Le plus jeune, Abdou, qui est né durant la guerre civile, ne pense, lui, qu’à partir. Ray-Ban de soleil sur le nez, blouson Lacoste classieux, « beau gosse » comme il se nomme, fumeur de clopes en mode locomotive et tchatcheur polyglotte émérite, ce jeune homme inoubliable de vingt printemps dit par tous les moyens que lui offre sa langue la nausée que lui donne l’Algérie. Père assassiné par les islamistes, jeunesse saccagée, pauvreté chronique, sans passé et sans avenir, Etat dirigé par « une marionnette », il dit préférer mourir de faim à l’étranger que d’humiliation chez lui.

Entre les deux, Lakhdar, grand gars maigre au visage émacié, regard brûlant, a été jeune soldat durant les événements et a assisté à des atrocités qui sont comme inscrites aujourd’hui sur son visage. Un nourrisson délibérément déchiqueté, qui lui fait penser à l’heure nocturne où l’on se confie à ses propres enfants dont il est séparé. Alors lui aussi fume à la lueur des braseros, grille sa clope aussi intensément que la vie l’a brûlé, et puis écoute Cheb Hasni, et pleure.

ATLAL de Djamel Kerkar - Bande annonce
Durée : 01:37

Documentaire algérien de Djamel Kerkar (1 h 41). Sur le Web : www.capricci.fr/atlal-djamel-kerkar-2017-418.html