Bataille de chiffres sur la consommation de Levothyrox
Bataille de chiffres sur la consommation de Levothyrox
Par Pascale Santi
Selon l’association Vivre sans thyroïde, un million des patients auraient renoncé à la nouvelle formule du médicament. Selon les autorités sanitaires, c’est deux fois moins.
Parmi les 3 millions de personnes qui prennent en France de la lévothyroxine, pour soigner l’hypothyroïdie ou après une opération de cancer de la thyroïde, près d’un tiers se serait détourné de la nouvelle formule du Levothyrox du laboratoire Merck, au profit d’autres traitements. C’est ce qu’a annoncé, jeudi 8 mars, l’association Vivre sans thyroïde. Demandée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), afin de rendre le produit plus stable, la nouvelle formule a été commercialisée en mars 2017. Mais rapidement, des patients se sont plaints d’effets secondaires (douleurs, fatigues, maux de tête, problèmes digestifs…).
Face à leur colère, les autorités de santé ont mis à disposition d’autres traitements alors que le levothyrox était en situation de quasi-monopole. L’ancienne formule, renommée Euthyrox et remise au compte-gouttes sur le marché sur demande du ministère de la santé, et d’autres formules sont arrivées sur le marché français ces derniers mois : Henning, Thyrofix, Euthyral…
« L’effet amplificateur des réseaux sociaux »
Vivre sans thyroïde et le laboratoire sont en désaccord sur les chiffres. Pour parvenir à un million de personnes, l’association, pour qui Merck aurait perdu un tiers de part de marché, s’est fondée sur une base de données de l’Assurance-maladie sur les volumes de tous les médicaments remboursés. Elle mentionne aussi que nombre de patients sont allés acheter l’ancienne formule à l’étranger… Sans que ce soit facilement chiffrable. Elle suppose également que des patients n’ont pas consommé les boîtes de Levothyrox qu’ils avaient achetées dès lors qu’ils ont réussi à se procurer un médicament concurrent. « Cela représente 33 millions de comprimés de Levothyrox nouvelle formule délivrés mais non consommés », indique leur communiqué.
Selon l’association, ces chiffres sont « en contradiction complète avec les affirmations officielles des pouvoirs publics, qui assurent encore aujourd’hui que ce n’est pas une crise sanitaire ». Selon elle, on est loin des 0,75 % de patients qui ont signalé des effets indésirables, comme l’indique le dernier rapport de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Fin novembre 2017, l’agence indiquait que 17 310 personnes avaient déclaré des effets indésirables, « une fréquence de signalement totalement inattendue », due notamment à « l’effet amplificateur des réseaux sociaux ».
L’association estime même que « ce chiffre de 1 million de patients est sous-estimé, car encore aujourd’hui de nombreux patients témoignent quotidiennement de l’impossibilité de trouver en pharmacie les alternatives au Levothyrox nouvelle formule, malgré une prescription médicale en règle », déplore Sabine Bonnot, vice-présidente de Vivre sans thyroïde.
Interrogé, le laboratoire Merck répond : « Nous démentons les chiffres avancés par Vivre sans thyroïde, dont la méthode de calcul n’est absolument pas détaillée. Ils ne reflètent pas la réalité », nous indique Thierry Hulot, président des activités Biopharma de Merck en France. Il s’agit selon lui d’une interprétation erronée des données d’Ameli Santé, base qui a pour objectif de suivre le coût des médicaments remboursés par l’Assurance-maladie et ne permet pas de suivre le nombre de patients sous traitement.
Information judiciaire ouverte pour tromperie aggravée
« Les dernières données dont nous disposons font état d’une baisse de part de marché entre 10 % et 12 % tant pour le nombre de boîtes vendues (selon Ameli.fr) que pour la part de marché patients sous Levothyrox (d’après les chiffres du groupement d’intérêt économique de l’industrie pharmaceutique Gers) sur le dernier trimestre 2017 », ajoute Thierry Hulot. Ce qui représente environ 300 000 patients qui se sont détournés de la nouvelle formule du Levothyrox. Il estime qu’il est temps de « mettre fin à ce business parallèle de la fausse information ».
Répondant à ce communiqué, l’ANSM et la direction générale de la Santé ont indiqué, vendredi, « qu’environ 500 000 patients se sont tournés vers des alternatives à la nouvelle formule du Levothyrox », soit entre les deux évaluations. Et l’ANSM précise : « Il faut être vigilant dans la comparaison brute entre le nombre de boites dispensées de Levothyrox nouvelle formule (traitement mensuel de 30 comprimés) et le nombre de boîtes dispensées des alternatives (traitement de 3 mois de 100 comprimés) ». Il semble que l’analyse réalisée par l’association Vivre sans Thyroide n’ait pas tenu compte de cette spécificité, estime l’ANSM.
Lundi, le procureur de Marseille a annoncé l’ouverture d’une information judiciaire pour tromperie aggravée, blessure involontaire et mise en danger d’autrui. L’association de patients a par ailleurs assigné le laboratoire Merck et l’ANSM en justice pour obtenir des explications et la diffusion de documents officiels demandés depuis des mois à l’agence du médicament.