Marine Le Pen au Salon de l’agriculture, le 28 février 2018. / GERARD JULIEN / AFP

Refondation du parti, nouveau nom, image écornée de Marine Le Pen… La journaliste du Monde chargée du suivi du FN Lucie Soullier a répondu, vendredi 9 mars, à vos questions sur les enjeux du congrès du Front national, qui se tiendra samedi et dimanche à Lille et au cours duquel Mme Le Pen doit proposer aux adhérents un nouveau nom pour le parti.

Claude : Avons-nous des chiffres plus précis concernant le résultat du vote du changement de nom du FN. La « courte majorité » annoncée par Mme Le Pen n’étant pas très précise.

Lucie Soullier : En effet, Marine Le Pen a annoncé que, parmi les quelque 27 000 adhérents (sur les 51 000 consultés) qui ont répondu au questionnaire envoyé en novembre 2017, une petite majorité s’était prononcée en faveur du changement de nom du Front national que Marine Le Pen défend. Elle n’a pas donné plus de précisions, les résultats seront annoncés dans le détail lors du congrès, samedi. Précisons que ce questionnaire a été dépouillé sans huissier, et que nous n’avons aucun moyen de contrôler les chiffres annoncés par le parti.

Autre précision : ce questionnaire n’est que consultatif. Marine Le Pen annoncera le nom qu’elle propose aux adhérents lors de son discours, dimanche, et un vote par correspondance sera ensuite organisé, sous contrôle d’huissier cette fois.

Sylvain : A-t-on des idées concernant le nouveau nom ?

Les pronostics vont bon train depuis quelques semaines, mais, pour le moment, seules quelques pistes ont été écartées par Marine Le Pen elle-même (« Les Nationaux », « Nouveau Front »…). La présidente du FN a également laissé filtrer quelques indices, affirmant préférer le mot « Nation » au mot « Patrie » (ce qui tombe plutôt bien, son ancien bras droit ayant appelé son parti « Les Patriotes » en claquant la porte du FN) ou expliquant ne pas vouloir d’un parti qui s’appellerait « Les quelque chose ».

Hervé : Une alliance avec Laurent Wauquiez est-elle d’actualité ?

Marine Le Pen avait poussé Laurent Wauquiez à faire le premier pas en novembre 2017, lors du « Grand Jury » RTL-Le Figaro-LCI, en lançant que, « s’il est sincère, compte tenu des propos qu’il tient, il devrait aller jusqu’à proposer une alliance ». M. Wauquiez avait balayé l’invitation.

Désormais, Mme Le Pen est revenue à son ancienne stratégie : récupérer les morceaux d’une droite éclatée, plutôt que s’y associer. Elle multiplie donc les mains tendues à ceux qui, chez Les Républicains, voudraient rallier plutôt que s’allier. En Alsace, à la fin de février, elle avait notamment déclaré : « Ceux qui se sentent aujourd’hui plus proches de nous que de M. Macron, je souhaite qu’ils fassent la démarche de venir au FN. Ils y seront bien accueillis. »

Nautil59 : Pensez-vous que Marine Le Pen puisse rester durablement à la tête du mouvement à la suite de l’effet dévastateur du débat d’entre-deux-tours de la présidentielle ?

Marine Le Pen est incontestablement affaiblie par la dernière présidentielle (et son débat raté). Il suffit d’écouter les militants, ou de regarder les chiffres du dernier baromètre d’image du FN Kantar Sofres-OnePoint pour le constater. Reste qu’elle est la seule candidate à sa propre réélection à la présidence du parti, et qu’elle a déclaré au Monde, jeudi : « Je n’ai pas terminé mon travail. » Un nouveau congrès sera organisé un an avant la prochaine présidentielle. D’ici là… Marine Le Pen a d’ailleurs elle-même également estimé que, « si quelqu’un est mieux placé [qu’elle] au FN pour rassembler, [elle] lui céder [a] la place ».

Beowulf : Des nouvelles sur la possible présence de Marion Maréchal-Le Pen au congrès ?

Marion Maréchal-Le Pen ne sera pas présente au congrès, ce week-end.

Matt : Mis à part un changement de nom et sa réélection à la tête du parti, que peut-on attendre de ce congrès de « refondation » (changement de ligne politique, réorganisation interne, présentation de liste pour les européennes) ?

Cette « refondation » tant affichée n’est en rien un changement de ligne. Marine Le Pen a d’ailleurs réaffirmé qu’il n’y avait qu’une ligne au FN : la sienne. Pas non plus de liste pour les élections européennes à attendre.

Il s’agit davantage d’un congrès de « dépoussiérage ». De nouveaux statuts seront adoptés – les anciens datant de quarante-cinq ans et étant copiés sur ceux du PCF de l’époque – et rebaptiseront les instances (le « comité central » devient par exemple « conseil national »). Le comité central, justement, sera également renouvelé (il compte 120 membres, dont 100 élus par les adhérents, et 20 choisis directement par Marine Le Pen). Et l’on peut attendre quelques nouvelles têtes au bureau politique et au bureau exécutif.

Charles : Comment expliquez-vous l’absence de communication du FN sur son travail parlementaire ?

Le FN, qui compte aujourd’hui six députés et une apparentée (Emmanuelle Ménard), n’a en effet pas le nombre de députés nécessaire pour former un groupe à l’Assemblée nationale, ce qui lui ôte certains moyens pour se faire entendre dans l’opposition (certains moyens financiers, la possibilité de siéger dans les instances dirigeantes ou encore celle de soumettre des textes à l’examen). Le FN n’a cessé de dénoncer le mode de scrutin majoritaire aux élections législatives, et de réclamer l’instauration de la proportionnelle pour assurer, dit-il, une plus juste représentation.

Marine Le Pen a bien tenté de reprendre la main, en janvier, avec une offensive sécuritaire. Mais les polémiques internes de ces dernières semaines (la virée américaine de Marion Maréchal-Le Pen, la sortie des Mémoires de Jean-Marie Le Pen et ses attaques cinglantes contre sa benjamine, ou encore le congrès de Florian Philippot, qui n’a pas manqué de glisser quelques coups de griffes remarqués contre son ancienne patronne) ont pris le pas sur son propre agenda d’opposante.

Emma : Une alliance des droites qui viserait à faire vivre les idées extrémistes est-elle à craindre ? Ou la digue entre les élus et militants de droite et extrême droite est-elle assez forte ?

Pour le moment, chez les dirigeants du parti Les Républicains, le message est clair : pas d’alliance avec le FN. Marine Le Pen, quant à elle, estime que « l’union des droites est une ambition minuscule et obsolète, d’autant plus que le FN a théorisé la fin du clivage droite/gauche ». Les deux électorats, en revanche, se rejoignent sur un certain nombre de valeurs. Et, s’ils rejettent toujours massivement une alliance « globale », les sympathisants des Républicains semblent plus partagés sur un rapprochement au niveau local.

Antoine : Quel est l’intérêt pour Mme Le Pen de changer le nom du parti ?

Marine Le Pen défend l’idée d’un changement de nom du parti, seule manière selon elle d’aller « chercher » les 15 % d’électeurs qui lui ont manqué au second tour de la présidentielle pour entrer à l’Elysée. Elle et son entourage estiment que le nom « Front national » empêche certains électeurs, pourtant d’accord avec ses idées, de voter pour le FN. En bref, un changement de nom serait, pour Marine Le Pen, l’apogée du travail de normalisation (la fameuse « dédiabolisation ») du parti d’extrême droite qu’elle mène depuis qu’elle en a pris la tête, en 2011.

Raphaël : Vous parliez à l’instant de dédiabolisation. Mais les résultats du baromètre peuvent laisser penser que, après la débâcle du débat de l’entre-deux-tours, tout l’effort entrepris a disparu. Le nom « Front national » laisse certes une marque bien présente, mais le nom « Le Pen » ne serait-il pas également un frein important ?

En effet, selon l’enquête Kantar Sofres-OnePoint pour Le Monde, Franceinfo, LCP-AN et Public Sénat, la campagne ratée de 2017 a très fortement abîmé l’image de la présidente du parti.