TV – « Dans la cour » : ballet de dépressifs autour d’une fissure intime
TV - « Dans la cour » : ballet de dépressifs autour d’une fissure intime
Par Jacques Mandelbaum
Notre choix du soir. Pierre Salvadori orchestre avec saveur la rencontre d’un apprenti concierge et d’une retraitée angoissée (sur OCS Géant à 20 h 40).
Dans la Cour - Bande-annonce
Durée : 01:51
Emballez, c’est pesé : le huitième long-métrage de Pierre Salvadori en vingt ans de carrière est le plus réussi. Pourquoi ? Simple. Il est le plus désespéré, donc le plus beau(voir Musset, Alfred de). Auteur folâtre cédant volontiers à la pente abracadabrante, Pierre, s’il nous permet, roule ici comme jamais, et n’attrape pas mousse. Des spectateurs, en revanche, oui, auxquels on prédit, avançons-nous, quelques germinations de joie.
La cour, donc. Celle d’un immeuble parisien de moyen acabit, avec des bourgeois moyens dedans. Ni trop riches ni trop pauvres, privilégiés mais de moins en moins, tirant quand même la langue pour se maintenir. Rien de grave, au regard du désastre alentour. Dans cette cour, qui rappelle un peu celle de Domicile conjugal, de François Truffaut, dans laquelle Antoine Doinel/Jean-Pierre Léaud teignait les fleurs pour embellir la réalité, une femme et un homme s’apprêtent à se rencontrer.
Lui s’appelle, justement, Antoine. Gustave Kervern, acteur lunaire, lui prête sa stature. Barbu, replet, débonnaire, ce quinquagénaire vient de décider d’arrêter le rock’n’roll. Déprimé, insomniaque, fumeur régulier de substances, il passe à deux doigts du vagabondage lorsqu’il se fait embaucher comme gardien dans l’immeuble évoqué. Il le doit pour l’essentiel à Mathilde, une retraitée pétulante, bénévole sociale, membre avec son mari du conseil syndical de l’immeuble. On aura reconnu Catherine Deneuve, dans son registre désormais favori de la star qui est redescendue sur terre pour habiter près de chez nous.
Duo mélancolique
Le mieux, là-dedans, est ce qui pousse les deux personnages à s’entraider. Mathilde, sous des dehors pimpants, traverse une phase difficile de son existence. Le vieillissement, la retraite, l’inactivité, un mari gentil mais qui ne fait plus rêver, autant de menaces sourdes qui peuvent transformer une simple lézarde sur le mur de son appartement en faille spatio-temporelle. Naturellement, elle s’y engouffre, et prend la tête d’une croisade de proximité qui annonce l’écroulement imminent du quartier, thème qui fédère tous les fêlés des environs et procure au film la séance de diapositives la plus drôle de l’histoire du cinéma.
Il faut donc beaucoup d’amour à Antoine pour protéger Mathilde contre elle-même, et contre la fureur de son mari, qui est à deux doigts de la faire interner. Il a d’autant plus de mérite que lui-même, bien entamé, semble attendre la fin de l’histoire pour se mettre enfin à ne plus exister.
Gustave Kerven et Catherine Deneuve. / Roger Arpajou
Autour de ce duo mélancolique, çà et là dans le cadre clos de la cour, Pierre Salvadori organise un ballet de dépressifs, plus ou moins déguisés. Il y a Lev et son molosse eczémateux, agent de sécurité venu de l’Est et sans domicile fixe, membre d’une secte lumineuse, possiblement violent. Il y a Stéphane, jeune homme dont la principale occupation consiste à voler des vélos qu’il entrepose par dizaines, fort d’un droit qu’il s’arroge, dans la cour. Il y a enfin M. Maillard, le maniaque de service, qui veut obtenir d’Antoine qu’il déloge Lev et les bicyclettes de ladite cour.
Qui n’aura reconnu, dans cette cour, la société qui nous entoure ? Telle qu’elle se recroqueville tranquillement, telle qu’elle « agoraphobise », telle qu’elle angoisse à en mourir, tel qu’un film comme celui-ci nous permet de la supporter un peu.
Dans la cour, de Pierre Salvadori. Avec Catherine Deneuve, Gustave Kervern (Fr., 2014, 97 min).