Aux Etats-Unis, un décès sur six serait attribuable à une exposition au plomb
Aux Etats-Unis, un décès sur six serait attribuable à une exposition au plomb
Par Paul Benkimoun
Une étude épidémiologique réévalue l’impact des faibles intoxications liées à la pollution au plomb : plus de 400 000 décès lui serait imputable chaque année aux Etats-Unis.
Le chiffre est énorme et bien supérieur aux estimations antérieures : les expositions environnementales au plomb contribuent à plus de 400 000 décès par an aux Etats-Unis. Par comparaison, l’étude annuelle sur le fardeau mondial des maladies pour 2015 évaluait à 558 000 décès au niveau mondial la mortalité attribuable au plomb, en ne prenant en compte que les morts adultes. Réalisée avec une grande rigueur méthodologique, l’étude de Bruce Lanphear (Simon Fraser University, Vancouver, Canada) et ses collègues américains a été publiée, lundi 12 mars, dans The Lancet Public Health.
Aux Etats-Unis, les maladies cardiovasculaires sont en diminution mais demeurent la première cause de mortalité, à l’inverse de la France, où les cancers les devancent (28 % contre 21 % pour les maladies cardiovasculaires). Parmi les facteurs de risque des maladies cardiovasculaires figurent bien sûr le tabagisme, l’hypertension artérielle (HTA), le diabète et la sédentarité, mais l’exposition environnementale au plomb fait elle-même partie des circonstances favorisant l’hypertension et par conséquent les pathologies circulatoires.
Par ailleurs, l’intoxication au plomb (saturnisme) atteint d’autres organes (système nerveux, notamment avec des troubles cognitifs et du comportement). Elle survient même aux niveaux les plus bas que l’on puisse mesurer. Diverses études ont montré que les troubles les plus marqués sont associés à des niveaux plutôt bas d’exposition, précise dans un commentaire accompagnant l’article Philip Landrigan (Mount Sinai Hospital, New York). Les expositions environnementales se font par ingestion ou inhalation, le plomb ayant largement été utilisé, par exemple dans des peintures ou dans l’essence, même si sa présence a beaucoup régressé.
Deux fois plus d’infarctus du myocarde
La part attribuable aux expositions au plomb dans les décès aux Etats-Unis n’avait jamais été étudiée de la manière la plus méthodique qui soit : celle consistant à suivre sur une longue période un échantillon représentatif de la population nationale et de s’assurer que l’on écarte les biais possibles qui pourraient fausser l’interprétation des résultats. De plus, les études jusqu’ici disponibles ne s’intéressaient pas aux expositions environnementales donnant une concentration relativement faible de plomb dans le sang (plombémie).
Le seuil de déclenchement d’une intervention quand des adultes se trouvent dans un environnement où ils sont exposés au plomb est fixé à 5 µg/dL de sang aux Etats-Unis. Bruce Lanphear et ses coauteurs se sont donc plus particulièrement attachés à explorer les résultats pour une population ayant des taux situés en dessous de cette valeur.
Entre 1988 et 1994, les chercheurs ont rassemblé un effectif de plus de 14 000 personnes de 20 ans et plus, au sein d’un échantillon représentatif de la population américaine, et l’ont suivi jusqu’à la fin de l’année 2011. La valeur moyenne de la plombémie dans ce groupe était de 2,7 µg/dL et 20 % des sujets inclus présentaient une valeur d’au moins 5 µg/dL.
En comparant les 10 % du groupe ayant les niveaux de plombémie les plus bas aux 10 % ayant les taux les plus élevés, les auteurs ont constaté chez ces derniers une élévation de 37 % de la mortalité toutes causes confondues, et de 70 % pour la mortalité due à une maladie cardiovasculaire, sachant que la mortalité par infarctus du myocarde est carrément doublée. Le même schéma d’augmentation se retrouve en ne prenant en considération que les personnes ayant une plombémie inférieure à 5 µg/dL.
250 000 décès d’origine cardiovasculaire
Pour s’assurer qu’ils pouvaient attribuer cet accroissement à l’exposition au plomb, Bruce Lanphear et ses collègues ont éliminé les facteurs pouvant constituer un biais de confusion dans l’interprétation (d’autres causes pouvant expliquer cette tendance) : âge, sexe, origine ethnique, résider en ville, tabagisme, diabète, HTA, taux de cholestérol, consommation d’alcool et revenu. Si, par principe, la persistance de biais ne peut être écartée, les auteurs en concluent que 412 000 décès annuels aux Etats-Unis, dont quelque 250 000 d’origine cardiovasculaire, sont bien attribuables à une exposition au plomb.
Ils soulignent donc l’importance de « quantifier la contribution de l’exposition environnementale au plomb à la mortalité par maladie cardiovasculaire pour comprendre les tendances de la mortalité et développer des stratégies complètes pour prévenir les maladies cardiovasculaires ».
« C’est un résultat des plus surprenants, je ne m’y attendais pas, avoue l’épidémiologiste William Dab, professeur titulaire de la chaire d’Hygiène et sécurité du Conservatoire national des arts et métiers. Mais l’étude, bien qu’ancienne, est faite dans les règles de l’art, avec une méthode qui apporte un fort niveau de preuve. Elle est convaincante. De très nombreux facteurs de risque cardiovasculaire sont pris en compte sauf la pollution atmosphérique. Mais le risque attribuable en population générale tient compte des autres facteurs de risque et je ne crois pas que la pollution atmosphérique pourrait inverser la tendance. »
Une réévaluation plus globale de l’impact sanitaire des expositions environnementales au plomb apparaît donc nécessaire ailleurs qu’aux Etats-Unis.