La Gaîté-Lyrique / COUSCOUSCHOCOLAT/CC BY 2.0

La discrétion aura été de mise malgré la crise. Le 5 février, une annonce était publiée sur NewsTank Culture, site dédié aux équipes de direction du secteur culturel, sous le titre : « Gaîté Lyrique : recrutement d’un nouveau directeur général pour le printemps 2018 ». Derrière une formulation sobre, la nouvelle levait le voile sur une situation agitée ces derniers mois au sein du centre d’art parisien spécialisé dans les cultures numériques, qui avait changé de tête à l’été 2016.

Petit rappel des faits : la Gaîté-Lyrique, propriété de la Mairie de Paris, avait construit son identité culturelle en 2011 sous la houlette de l’entrepreneur Steven Hearn (président) et de Jérôme Delormas (directeur artistique), duo qui avait recruté l’ensemble de l’équipe. En 2016, à la fin du premier mandat de cette délégation de service public et malgré un bon bilan, la Mairie de Paris avait créé la surprise en préférant au projet initial, qui candidatait à sa propre succession, un projet outsider porté par Marc Dondey qui présentait l’avantage, selon les élus, de mieux intégrer la nouvelle donne budgétaire : une baisse substantielle de la subvention annuelle (passant de 5,9 à 4,4 millions d’euros). La contrainte appelait à multiplier les partenariats et les coproductions, or le profil de ce Franco-Américain, passé par de multiples structures artistiques et culturelles, semblait offrir des garanties pour s’adapter à la situation.

« Désordre et paralysie »

De fait membre du comité d’administration de la nouvelle structure gestionnaire (qui regroupe sa propre société, MuZ Connexions, spécialisée dans les arts du spectacle vivant, la société ARTER, spécialisée dans la conception et la production de projets artistiques, et la Société des arts technologiques de Montréal), ce dernier avait pris des fonctions à la fois en qualité de directeur général et de directeur artistique pour un mandat de six ans, dans un climat de malaise. Celui-ci, loin de se dissiper, est allé grandissant, jusqu’à l’envoi d’une lettre collective, le 3 octobre 2017, au conseil d’administration.

« La pression exercée sur les salariés a généré des situations de stress et de violence psychologique »

Le document, consulté par Le Monde, faisait état d’« une situation de désordre et de paralysie » dans le centre d’art, causée par un problème de management. « La pression exercée sur les salariés a généré des situations de stress et de violence psychologique, entraînant des départs et de nombreux arrêts maladie », détaillait la lettre, qui pointait le « comportement inflexible » du directeur général, « son manque de considération et de confiance » envers ses collaborateurs, et son « incapacité […] à diriger son équipe ».

La baisse budgétaire n’aura pas aidé au passage de relais : « Un des principaux leviers d’économies a été la masse salariale. Elle s’élève aujourd’hui à une cinquantaine d’équivalents temps plein », contre près de 80 auparavant, détaille une source interne. Avec pour conséquence, soulignait la lettre d’octobre, « une désorganisation du travail, un brouillage des périmètres de responsabilité de chacun et une surcharge durable et insoutenable de travail sur de nombreux postes ». Faisant le constat d’une « absence évidente de cohésion générale [mettant] en péril le fonctionnement de l’entreprise », le texte demandait explicitement à Marc Dondey de « quitter ses fonctions de directeur général et artistique ».

Un recrutement en juin

Depuis, un audit a été effectué, et le responsable a été écarté des équipes, même s’il conserve officiellement ses fonctions jusqu’à la nomination de son successeur. C’est un autre membre du CA qui assure la direction générale déléguée pendant la période de transition : l’architecte Jean-Dominique Secondi, directeur de l’agence ARTER. « Une fiche de poste sera publiée courant avril pour un recrutement en juin », précise ce dernier au Monde. « Nous recherchons une direction générale qui ait un projet global d’établissement à même de trouver un modèle économique innovant », précise-t-il, tout en se voulant rassurant : « Nous avons un super lieu, une super mission et une super équipe, qui aime la Gaîté-Lyrique et a retrouvé la sérénité. On est à l’équilibre et nous travaillons à la consolidation du modèle économique. »

« Il n’y aura pas de recrutement d’un directeur artistique. Une direction des programmes correspond plus à notre réalité » Jean-Dominique Secondi, directeur général délégué

Quid de la direction artistique ? « La Gaîté-Lyrique est un lieu culturel, pas uniquement artistique : c’est une maison de création et de production, mais aussi de formation, d’initiation, d’information, de débats, etc. Il n’y aura donc pas de recrutement d’un directeur artistique. Une direction des programmes correspond plus à notre réalité : on a surtout besoin de travailler collégialement à l’écriture de la ligne culturelle et artistique », assure-t-il. Le lieu recherche en revanche un(e) nouveau directeur (trice) de la communication, le poste ayant été laissé vacant après de récents départs.

« Marc Dondey comme moi-même sommes sexagénaires et notre séniorité nous porte à être des accompagnateurs : l’encadrement, le conseil, c’est plus ça notre rôle d’associés », analyse le directeur délégué. « Lorsqu’un nouveau directeur général sera choisi, nous l’accompagnerons, moi du côté de la production, Marc Dondey a priori pour le réseau de partenaires nationaux et internationaux, mais pas forcément, et pas seulement. Rien n’est fixé aujourd’hui, cela dépendra du réseau du candidat, détaille-t-il. Joint par téléphone, Marc Dondey confirme son « évolution de fonctions opérationnelles vers des fonctions stratégiques », sans que les choses ne soient encore « calées ».

Certains salariés pointent du doigt le fonctionnement même de la délégation de service public concernant les centres d’art parisiens : « On se dit que ce système de gestion rend les choses difficiles car on peut remplacer tout un projet à chaque mandat et repartir de zéro. Cela crée une perte de temps, démotive les équipes, ça crée un malaise. » De nouveaux départs, dus à « une perte de motivation » et à l’« épuisement » lié à la crise interne ne sont pas à exclure en attendant l’arrivée d’un nouveau directeur général, nécessairement fédérateur.