Au Mexique, l’ONU accuse les autorités de torture dans l’affaire des 43 disparus
Au Mexique, l’ONU accuse les autorités de torture dans l’affaire des 43 disparus
Par Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)
Publié jeudi, un rapport dénonce les tortures infligées aux responsables présumés de la disparition des étudiants en 2014, pouvant remettre en cause les conclusions de l’enquête officielle.
Les disparus étaient élèves-enseignants à l'école normale d’Ayotzinapa, dans l’Etat de Guerrero, au Mexique / REUTERS/DANIEL BECERRIL
« Ils m’ont envoyé des chocs électriques sur les parties génitales, (…) puis m’ont menacé de violer mes filles et mon épouse… » C’est un des témoignages glaçants du rapport des Nations unies publiés jeudi 15 mars, dénonçant les tortures infligées par les autorités mexicaines aux suspects arrêtés dans l’enquête sur la disparition de quarante-trois étudiants, en 2014, au sud-ouest du Mexique. Ces accusations mettent à mal la version officielle sur une affaire qui a provoqué la plus grave crise du mandat du président Enrique Peña Nieto.
Le scandale retentit à nouveau, plus de trois ans après le drame des élèves-enseignants de l’école normale d’Ayotzinapa, dans l’Etat de Guerrero. Dans la nuit du 26 au 27 septembre 2014, les cinq bus qui transportaient les jeunes ont été attaqués par des policiers corrompus de la ville d’Iguala, qui auraient remis quarante-trois d’entre eux à des tueurs d’un cartel local.
Le rapport du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’homme a identifié trente-quatre cas de torture sur les cent vingt-neuf suspects arrêtés, à partir d’entretiens et d’analyses des dossiers judiciaires et médicaux. Sur quatre-vingt-dix pages, le texte décrit « un modus operandi de détentions arbitraires et de tortures pour soutirer des confessions ».
« Tant pis, il n’a pas résisté »
Emmanuel Alejandro Blas Patiño en serait mort. Détenu par la Marine, le 27 octobre 2014 à Cuernavaca, près de Mexico, ce narcotrafiquant présumé est officiellement décédé lors d’un affrontement avec les militaires. Mais pas selon les déclarations d’Eury Flores Lopez, arrêté ce jour-là avec lui : « J’ai vu qu’ils l’étouffaient avec un sac… Jusqu’à entendre “tant pis, il n’a pas résisté” (de la part d’un soldat). »
Asphyxies, simulacres de noyade (waterboarding), pénétrations anales… les détenus torturés dénoncent des agents du ministère public, des policiers fédéraux et des militaires. « Aucune accusation, ni sanction, n’a été émise à l’encontre des possibles responsables de ces violations », déplore le rapport qui dénonce « une dissimulation ».
L’enquête interne, réalisée en 2016 par le ministère public, aurait été altérée par la démission de fonctionnaires qui s’occupaient du dossier. Pis, l’organisme considère « improbables » les justifications du parquet, qui avance « des chutes » ou « des automutilations ». Le rapport exige que « les preuves obtenues sous la torture soient retirées du dossier ». De quoi remettre en cause les conclusions de l’enquête officielle, basées sur les confessions de détenus qui déclarent avoir tué puis incinéré les disparus dans une déchetterie, avant de jeter leurs cendres dans une rivière. Une version déjà contestée en 2016 par des enquêteurs indépendants de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) qui doutaient aussi du mobile du crime.
La piste d’un possible chargement d’héroïne
Selon le ministère public, les disparus auraient été pris par leurs agresseurs pour des membres d’un cartel concurrent. Les experts de la CIDH ont avancé plutôt la piste d’un possible chargement d’héroïne dans un des bus confisqués sans le savoir par les élèves-enseignants. Ils ont aussi questionné le rôle joué par des policiers fédéraux et des militaires, présents sur les lieux de l’attaque des étudiants.
Ces révélations ont entaché l’image du président Peña Nieto, creusant son impopularité (79 % d’opinions négatives). Un discrédit qui pèse désormais sur la campagne du candidat présidentiel de son Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), Jose Antonio Meade, en vue du scrutin du 1er juillet. Troisième dans les sondages, l’ancien ministre des finances de M. Peña Nieto peine à se démarquer d’un gouvernement décrié pour son incapacité à éradiquer la violence, l’impunité et la corruption.
Jeudi, le parquet a rejeté les accusations des Nations unies, jugeant son rapport « incomplet ». Quelques heures plus tôt, Jan Jarab, représentant à Mexico de l’ONU, expliquait le titre du rapport, « double injustice », en regard « des violations, à la fois, des droits des détenus mais aussi de ceux des parents des disparus à connaître la vérité ». Le sort de leurs enfants reste toujours un mystère.