Ghana, le grand bond en avant
Ghana, le grand bond en avant
Par Francis Kpatindé
LE BILLET DE FRANCIS KPATINDÉ. La croissance record attendue en 2018 est une juste récompense pour le pays, hier « enfant malade », aujourd’hui admiré de ses voisins.
Le Ghana pourrait intégrer cette année le trio des nations ayant la croissance économique la plus forte au monde. C’est, du moins, le pronostic convergent de la Banque mondiale, de la Banque africaine de développement, du Fonds monétaire international et de la Brookings Institution. Sa croissance en 2018, attendue entre 8,3 % et 8,9 %, pourrait dépasser celles de l’Inde, en dépit de l’essor technologique du géant asiatique, et de l’Ethiopie, l’une des économies africaines les plus performantes de ces dernières années grâce, notamment, à l’expansion de sa production agricole et de ses exportations de café.
Même s’ils n’ont pas toujours une répercussion directe dans l’assiette de la ménagère, ces bons indicateurs irradient au-delà de la capitale, Accra, jusqu’à Kumasi, en passant par Takoradi, Cape Coast et Elmina. Selon le New York Times, qui rapporte l’information dans son édition du 10 mars, seuls le royaume du Bhoutan, patrie du BNB, le « bonheur national brut », avec son marché intérieur lilliputien, et la Libye, pourtant en déconfiture, pourraient griller la politesse au Ghana et lui ravir les deux premières marches du podium.
« L’exception » ouest-africaine
Un Ghana en marche ordonnée vers les sommets ! Qui l’eût cru ? Le boom pétrolier, récent, n’explique pas à lui seul ce formidable bond en avant. La production cacaoyère, une gestion mesurée de l’économie nationale, l’esprit d’entreprise de la population, la place de choix réservée dans le débat public aux chefs traditionnels et aux rois, la bonne gouvernance et plusieurs alternances démocratiques à la tête de l’Etat ont fait le reste, propulsant cette nation de 29 millions d’âmes en haut de l’affiche. Juste récompense pour l’ancienne Gold Coast, passée par une longue période d’instabilité, une série de coups d’Etat, des années d’austérité et plus d’une décennie de couvre-feu.
« L’enfant malade » d’hier fait désormais l’objet d’un culte, notamment chez ses voisins immédiats, tous francophones. Et pas uniquement à cause des sorties médiatiques savamment étudiées de son président, l’avocat Nana Dankwa Addo Akufo-Addo, dont la moindre mercuriale sur le dévoiement des élites africaines et leur sujétion à l’ancien colonisateur fait le buzz sur les réseaux sociaux. A un tel point qu’Accra est en passe de rejoindre la liste des capitales mythologiques africaines, à l’instar du « Ouaga » millésime Thomas Sankara. On se rend désormais au Ghana pour le week-end, afin de juger sur pièce « l’exception » ouest-africaine, de s’en inspirer, d’inscrire ses enfants à l’Ecole maritime de Tema ou à l’Université du Ghana, plus connue sous l’appellation « Université Legon ». Parfois aussi, à l’instar des protagonistes de la crise politique togolaise, afin de solliciter la médiation de ce « pays frère ».
High-life, costume national et raie dans les cheveux
Arriver à Accra en provenance de Cotonou, Dakar ou Conakry sonne généralement comme une délivrance et un retour à une forme de normalité placée – qui plus est – sous la triple ombrelle totémique de Kwame Nkrumah, chantre du panafricanisme et père de l’indépendance, de Jerry John Rawlings, fougueux capitaine révolutionnaire, et, bien entendu, de Nana Dankwa Addo Akufo-Addo. Ici, l’on fait étalage, chacun à sa manière, de sa passion pour le Ghana : high-life, costume national et raie dans les cheveux de rigueur. On honore en priorité et sans complexe les mets du cru, surtout le kenkey, le red-red et le banku, des plats qu’on retrouve en bonne place sur la table des officiels.
A Accra, le visiteur au fait des mœurs régionales va d’une surprise à l’autre. Griller un feu rouge est un sport national dans les trois métropoles ouest-africaines précitées. Impensable dans la capitale ghanéenne ! Automobilistes et cyclomotoristes respectent le feu tricolore et, même lorsqu’ils sont dans leur bon droit, ils s’immobilisent pour céder le passage aux piétons.
Cité proprette et sans histoires où j’ai vécu plusieurs années, Accra a fait le choix de la verdure. Une légende tenace prévient d’ailleurs le visiteur qu’il y a plus d’arbres que d’habitants intra muros. Invérifiable, certes, mais un fait est avéré : abattre un arbre peut vous valoir de sérieux ennuis. Les jardins publics et les parcs sont légion : le très impressionnant Aburi Botanical Gardens, avec ses arbres géants, l’Achimota Forest Park, au nord de la ville, et le Kwame-Nkrumah Memorial Park, dans le centre. Les zémidjans, ces motos-taxis sources de nuisances atmosphériques et sonores à Cotonou, Lomé et ailleurs, sont prohibés. Une raison supplémentaire de succomber au charme feutré d’Accra : les policiers ripoux qui essaient de vous soulager de quelques cedis, la devise officielle, insistent rarement si vous leur tenez tête avec le sourire. C’est assez rare dans la région pour être signalé.