La banderole avait tenu quinze minutes. Promptement, le 11 janvier, le secrétariat des internes de l’hôpital Purpan, à Toulouse, était intervenu pour décrocher le drap blanc où deux phrases étaient inscrites, recouvrant une fresque : « Ceci est du harcèlement sexuel. Qu’en pensez-vous ? »

Accrochée au mur du réfectoire des internes, la fresque représentait des médecins grimés, habillés en moines, s’affairant autour d’une femme allongée et entièrement nue. Un étonnant comité médical, entouré d’une demi-douzaine de femmes qui semblaient écouter une leçon, nues elles aussi, certaines affublées de talons hauts.

Dans une lettre ouverte adressée à la direction générale de l’hôpital, le collectif d’internes, baptisé « Jeudi onze », a alors réclamé le retrait du tableau :

« Nous avons chacune et chacun déjà vécu des situations de harcèlement sexuel, qu’il s’agisse de propositions sexuelles de la part de nos supérieur·e·s hiérarchiques, de propos ou manières de nous interpeller dégradantes (“l’externe femelle”, “ma foufoune”), de blagues sexistes répétées. Il est difficile de nous exprimer quand les auteur·e·s de ces propos sont nos supérieur·e·s hiérarchiques et que la validation de nos stages en dépend. »

Ce collectif d’une dizaine d’internes, dont une majorité de femmes, avait pour ambition initiale de décrocher tout bonnement la fresque avant de se raviser. « Nous avons finalement opté pour une invitation au débat, raconte au Monde l’une de ses membres, prénommée Léa. Vu les réactions, on a tout de suite compris qu’il allait être très difficile de questionner cette culture carabine, tellement bien ancrée. »

Acte « hystérique » et « violent »

Très vite, les auteurs de l’opération « antifresque » (qui avaient convié la presse locale le 11 janvier) sont pris à partie. Ils sont traités d’« hystériques » et de « violents », rapporte Léa. « Les médecins ont pour habitude de régler leurs problèmes entre eux. Ils n’ont pas apprécié du tout qu’on dévoile l’affaire» Les critiques les plus virulentes viennent de femmes, internes ou médecins, qui reprochent au collectif de parler en leur nom et de « les faire passer toutes pour des hystériques ».

Deux mois plus tard, la réponse de la direction est finalement arrivée… à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. Interpellée lors d’une réunion interne, Anne Ferrer, directrice générale du CHU de Toulouse, décide d’envoyer un courrier à l’internat, le sommant de retirer la fresque. Ce qui fut fait le lendemain.

« La direction n’a pas voulu intervenir de façon autoritaire dès le mois de janvier car, certes, il s’agit de locaux du CHU, mais ceux-ci sont mis à disposition de deux associations d’internes », fait valoir au Monde la direction de l’hôpital Purpan. Depuis l’action du collectif, Anne Ferrer serait intervenue « plusieurs fois » auprès des deux associations pour « leur demander de mener une réflexion ».

Cellule contre le harcèlement sexuel

« La fresque, ce n’était pas le fond du problème. Il est beaucoup plus large et nous nous en préoccupons depuis longtemps », poursuit le porte-parole du CHU de Toulouse, en allusion à la création, en novembre 2017, d’une commission égalité hommes-femmes au sein de l’hôpital, en partenariat avec l’université de Toulouse.

Le projet d’établissement 2018-2022 ambitionne aussi de renforcer la place des femmes pour les faire accéder à des postes à responsabilité. Un volet prévention contre le harcèlement sexuel est prévu, grâce à une cellule d’écoute ouverte « fin mars début avril ». « Notre objectif est de faire acte de pédagogie par rapport à la culture sexiste qui peut exister », résume le porte-parole de la direction du CHU, où 80 % du personnel hospitalier et 53 % des médecins sont des femmes.

Parmi les médecins, le retrait de la fresque a divisé, les avis étant très partagés au sujet de cet « art carabin » considéré comme partie intégrante de l’histoire de la médecine. « La discussion a été dense entre pro et anti », confirme la direction de l’hôpital, qui appelle les deux camps à « réfléchir ensemble sur le devenir de cette fresque », évoquant la possibilité de la confier au musée d’histoire de la médecine, à Paris.

Trois fresques à l’hôpital Rangueil

Le sujet pourrait très rapidement revenir à l’ordre du jour, l’hôpital Rangueil — qui appartient aussi au CHU de Toulouse —, abritant également trois tableaux, que décrit Léa, la jeune interne du collectif Jeudi onze.

« Le premier imite la fresque du plafond de la chapelle Sixtine, deux hommes médecins se passant le téléphone de garde. En arrière-plan, des femmes nues, et à leur disposition sexuelle, patientent. »

Sur la deuxième œuvre, « une personne du bloc opératoire avec son sexe en érection a l’air d’en frapper une autre ». Enfin, la troisième fresque se distingue par « son caractère raciste », explique Léa : « Elle montre une scène d’orgie avec plein de personnes en position sexuelle. Au milieu, apparaît un personnage noir de peau, orné d’une ceinture de bananes. »

Au CHU, le porte-parole l’assure : « La même politique s’appliquera partout : si elles posent problème, les fresques doivent être décrochées. »

Pour sa part, le Syndicat national des jeunes médecins généraliste (SNJMG) a salué, dans un communiqué, la décision prise par la directrice de l’hôpital, « en totale adéquation avec les engagements du syndicat contre le sexisme en médecine ». Sa présidente, Sayaka Oguchi, rapporte au Monde que « tout l’art carabin n’est pas forcément sexiste et peut revêtir uniquement un caractère dévergondé ». « Mais quand les choses vont trop loin, il ne faut pas les laisser passer. La fresque du Purpan n’avait vraiment rien à y faire. »

Selon une enquête de l’Intersyndicale nationale des internes menée en octobre 2017 auprès de près de trois mille internes (dont les trois quarts de femmes), 34 % rapportent des attitudes connotées au moins une fois et 8,6 % un harcèlement sexuel.