Le picotement salé des embruns en moins, l’hémicycle de l’Assemblée nationale ressemble parfois à un bord de mer. Une mer d’huile, par temps calme, qui peut rapidement virer à la tempête. Les connaisseurs de l’Assemblée le savent : le vent tourne vite au-dessus du Palais-Bourbon.

Ce mercredi 21 mars, c’est marée haute. Comme lors de chaque séance de questions au gouvernement, les bancs de l’hémicycle sont particulièrement fournis, peuplés de députés avides d’assister aux réponses des ministres à leurs interpellations. Nicole Belloubet, garde des sceaux, se présente au micro. Dans sa veste fuchsia, elle va répondre au député Les Républicains Philippe Gosselin.

L’avenir du droit d’amendement

L’élu de la Manche avait commencé en énumérant les réformes impopulaires et critiques de son camp à l’égard du gouvernement. « Je devrais vous parler de la hausse de la CSG, de l’abandon des territoires ruraux, des 80 km/h », avait-il lancé. Mais il est un sujet de mécontentement propre au Parlement que l’élu a préféré aborder : l’avenir du droit d’amendement. Cette question est devenue l’un des points de crispation de la réforme constitutionnelle en cours de rédaction.

Depuis que le premier ministre a, dans une première copie, proposé de limiter le dépôt d’amendements en fonction de la taille des groupes, les parlementaires d’opposition s’indignent contre ce qu’ils qualifient d’atteinte au pluralisme. Des doutes existent quant à l’intention de l’exécutif de véritablement mettre en place cette disposition, mais tant que sa copie définitive n’est pas dévoilée, les oppositions disposent toujours de ce bâton pour battre le gouvernement.

« Nous ne pouvons pas accepter que les oppositions soient bâillonnées. C’est le peuple qui serait bâillonné, c’est les Français qui seraient bâillonnés », a donc assené Philippe Gosselin dans l’hémicycle, sous les applaudissements de ses collègues d’opposition. La semaine précédente déjà, Edouard Philippe avait répondu à une interpellation similaire d’André Chassaigne, chef de file des communistes, sans apaiser ces inquiétudes.

L’opposition déserte les bancs

« Je ne crois pas que le gouvernement ait pour ambition de bâillonner nos représentants », a rétorqué Nicole Belloubet, ancienne membre du Conseil constitutionnel, à M. Gosselin. Mais il y a un mais. Selon la ministre, si l’amendement « fait partie du droit d’initiative législative des députés », « il faut cesser de confondre la forme, c’est-à-dire le nombre, et le fond c’est-à-dire la qualité ». En sous-entendant que les députés céderaient au quantitatif, mais surtout en mettant son grain de sel dans les affaires des députés, la ministre a trouvé la corde à tourner le vent parlementaire. En quelques secondes, accusée d’attenter à la séparation des pouvoirs, elle a provoqué le retrait de la marée, l’opposition désertant les bancs en signe de protestation.

En ce type de circonstances, le flot mène inévitablement les députés dans un même endroit. La salle des Quatre-Colonnes, lieu de rencontre des politiques et des journalistes, se peuple alors de présidents de groupes et de « gros » mots. « Déni de démocratie » (André Chassaigne). « C’est insupportable » (Olivier Faure, Parti socialiste). « Mépris du gouvernement à l’égard de la démocratie » (Marine Le Pen, Front national). « Une incroyable agression » (Jean-Luc Mélenchon, La France insoumise). Richard Ferrand, chef de file la majorité et député du Finistère, n’y voyant, lui, que « quelques potaches qui ont simplement voulu faire un incident pour faire parler d’eux ».

Quelques minutes plus tard, les travaux reprenaient normalement dans l’hémicycle après quelques brefs rappels au règlement. Jean-Luc Mélenchon a notamment rappelé que, sous la IIIe République, un ministre avait démissionné pour avoir simplement applaudi un parlementaire. « A l’époque, on avait les nerfs très fragiles », a lancé le chef de file des Insoumis dans une enceinte qui avait retrouvé une activité normale. Le calme avant la prochaine tempête.