Dans la mise en scène de « Don Carlos » par Christophe Honoré à l’Opéra de Lyon, les condamnés de l’autodafé sont hissés telles de vivantes torchères. / JEAN-LOUIS FERNANDEZ

En dédiant cette année son festival thématique à Verdi, le patron de l’Opéra de Lyon, Serge Dorny, adresse un signe de ­bienvenue à son nouveau directeur musical, le chef d’orchestre Daniele Rustioni, talentueux ­Milanais de 35 ans arrivé en septembre 2017 à la succession de Kazushi Ono. La réflexion sur le pouvoir est la pierre angulaire de bien des ouvrages verdiens, dont Macbeth, Don Carlos et Attila (ici en version de concert).

Le premier témoigne de la fas­cination de Verdi pour Sha­kespeare, mais reste moins po­pulaire qu’Otello ou Falstaff. De même Don Carlos, d’après Schiller, monté ici dans la version originale française en cinq actes avec ballet, en retrait des scènes internationales, qui lui préfèrent l’adaptation italienne, Don Carlo.

Il demeure toujours chez Verdi, fût-ce au plus profond du monstrueux, une part d’humanité

Le pouvoir mène à la folie meurtrière (Macbeth), son exercice ­détruit l’amour entre les êtres (Don Carlos) : deux ouvrages éminemment pessimistes même si demeure toujours chez Verdi, fût-ce au plus profond du monstrueux, une part d’humanité.

L’Opéra de Lyon a déjà accueilli en 2012 la mise en scène du ­Macbeth, d’Ivo van Hove, transposant les tribulations meurtrières autour de la couronne d’Ecosse dans le monde contemporain de la finance. Une salle de marché boursier, open space bordé d’écrans d’ordinateur devant des enfilades de fauteuils de bureau, des tradeurs en costumes et tailleurs portant tablettes et portables, et des vidéos de chiffres « spermatozoïdes » mènent le monde et fécondent un imaginaire peuplé de spectres royaux. Pas plus que les parfums d’Arabie, une femme de ménage omniprésente ne parviendra à effacer le sang qui tache les mains de Lady Macbeth. Seul le triomphe du peuple (les « indignés » d’Occupy Wall Street) permettra à Macbeth de finir comme un sans-abri, une couverture sur le dos et un bol de soupe populaire à la main.

Le travail est fouillé, la dramaturgie intelligente, mais cet univers technologique glacé entré en ­collision avec la flamboyance de la musique ne convainc pas tout à fait. De même, une distribution qu’entachent le timbre peu seyant et le vibrato vitriolé de la Lady Macbeth de Susanna Branchini, nonobstant la vaillance du remarquable Macbeth d’Elchin Azizov, la noblesse du Banquo de Roberto Scandiuzzi et des chœurs affûtés dont les décalages se dissiperont au fil des quatre actes, ­tandis que l’orchestre ne sera pas toujours à son meilleur.

Une émotion incoercible

Tous les espoirs se tournent évidemment vers Don Carlos, clou du festival,mis en scène par Christophe Honoré, qui offre à Lyon sa troisième production après Dialogues des carmélites, de Poulenc (2013), et Pelléas et ­Mélisande, de Debussy (2015). Cette fois, pas de transposition. Mais un espace intemporel meublé de lourds rideaux, hauts murs de béton, escaliers gigantesques et crypte ouverte dans le sol – le tombeau de Charles Quint. Les costumes sont magnifiques (avec un petit côté Game of Thrones), la direction d’acteur ciselée au creux des drames intimes, les effets saisissants intervenant aux moments opportuns. Ainsi le placide ballet faisant se convulser des fous lubriques et dépoitraillés ou les condamnés de l’autodafé hissés tels de vivantes torchères aux monumentales tribunes de bois de l’Inquisition et de l’empire. La salvation finale de Carlos par le spectre de Charles Quint, le rapt d’un enfant lumineux lui sautant dans les bras, provoque une émotion incoercible.

Cette fois, pas de réserve sur le plateau vocal. L’excellente prise de rôle de Stéphane Degout en Rodrigue, révélant l’étendue d’un art total : modelé de la voix, perfection prosodique, sensibilité expressive et autorité naturelle font de l’ami sacrifié de l’infant Carlos une figure centrale. Autre prise réussie pour la mezzo ­Eve-Maud Hubeaux, saisissante princesse Eboli en fauteuil roulant, timbre vibrionnant et projection idéale, portant fier et beau jusqu’au fameux « O don fatal », qui révèle les limites d’aigus un peu trop tendus.

Les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon constituent un atout majeur dans une éclatante réussite

Très belle scéniquement mais un peu décevante, l’Elisabeth au français incompréhensible de Sally Matthews se rattrapera dans un magistral et ­poignant « Toi, qui sus les grandeurs de ce monde », tandis que Sergey Romanovsky, dans un rare alliage de finesse, de charme et d’élégance, compose un Carlos attachant, le tout dans une langue impeccable. Magnifique duel de basses à la Jurassic Park entre le Philippe II de Michele Pertusi et le Grand Inquisiteur de Roberto Scandiuzzi, à la hauteur des terribles enjeux entre religion et pouvoir royal. Les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra de Lyon constituent un atout majeur dans une éclatante réussite qui doit beaucoup à la direction naturellement fluide et prolixe de Daniele Rustioni, entre grandeur et intimité, mystère de la mort et poésie de l’amour.

Par un hasard de program­mation, à quelque 200 kilomètres au nord, l’Opéra de Dijon prolongeait la fête verdienne avec Simon ­Boccanegra – les arcanes du pouvoir vus au travers du fantasme de la réconciliation.

La mise en scène de Philipp Himmelmann se pare d’une sobriété assumée, quelques images leitmotivs se ­chargeant d’une temporalité psychologique : une marine à la météo changeante ou ce beau cheval stationné près d’une femme pendue, messager de l’outre-tombe que rejoindra Boccanegra terrassé par le poison. Le plateau réservait lui aussi de belles découvertes : le Boccanegra magnifiquement humain de Vittorio Vitelli, corsaire devenu doge, ou l’Amelia intense et fragile de Keri Alkema, tandis que l’Adorno de Gianluca Terranova frappait par la vigueur éclatante d’une voix solaire aux aigus orgueilleux. La baguette de Roberto Rizzi Brignoli dévoilait de puissantes affinités verdiennes et l’on ne pouvait que se féliciter des immenses progrès accomplis en quelques années par le Chœur et l’Orchestre dijonnais. Une production qui n’a pas à rougir devant son voisin lyonnais.

Programme Verdi à Lyon et Dijon

Opéra de Lyon

« Macbeth », de Verdi
Avec Elchin Azizov, Susanna Branchini, Ivo van Hove (mise en scène), Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Daniele ­Rustioni (direction). ­Jusqu’au 5 avril.

« Don Carlos », de Verdi
Avec Sally Matthews, Michele Pertusi, Sergey Romanovsky, Stéphane Degout, Roberto ­Scandiuzzi, Eve-Maud Hubeaux, Christophe Honoré (mise en scène), Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Lyon, Daniele ­Rustioni (direction). Jusqu’au 6 avril (représentation annulée le 22 mars en raison d’une grève).

Opéra de Dijon

« Simon Boccanegra », de Verdi
Avec Vittorio Vitelli, Keri Alkema, Gianluca Terranova, Philipp Himmelmann (mise en scène), Chœur de l’Opéra de Dijon, ­Orchestre Dijon Bourgogne, ­Roberto Rizzi Brignoli (direction). Jusqu’au 22 mars.