Réductions d’effectifs à l’inspection du travail : ce que disent les chiffres
Réductions d’effectifs à l’inspection du travail : ce que disent les chiffres
Par Jean-Gabriel Fernandez
Les syndicats dénoncent une perte d’effectifs des contrôleurs du travail, niée par la ministre. Dans les faits, cela est dû à une transformation des métiers de l’organe de contrôle.
« Les effectifs de l’inspection du travail n’ont pas baissé ces dernières années », a affirmé, mardi 20 mars, la ministre du travail, Muriel Pénicaud, au micro d’Europe 1. Face à elle, le journaliste Patrick Cohen questionnait ses propos, se référant aux déclarations des syndicats de la profession.
En 2017, le syndicat SUD-Travail affaires sociales dénonçait une perte de « près de 20 % des effectifs » et de 23 % des contrôleurs du travail, et la CGT-Travail emploi formation professionnelle (TEFP) affirmait que les contrôleurs du travail avaient « perdu 20 % de leurs effectifs au cours des dix dernières années ». La ministre du travail est pourtant restée sur ses positions : « Les effectifs se maintiennent autour de 2 200 inspecteurs en contrôle. J’ai les chiffres, je vous les montrerai », a-t-elle rétorqué.
Qu’en est-il exactement ?
Les chiffres en question, disponibles dans les rapports de l’inspection du travail, montrent que les syndicats et la ministre ont tous deux partiellement raison. Le nombre de contrôleurs du travail a effectivement décru de façon importante, passant de 1 482 en 2010 à 992 fin 2015. Mais le nombre d’inspecteurs du travail a connu une hausse comparable sur la même période : il y avait 775 inspecteurs en 2010 et 1 196 fin 2015.
La nuance se trouve dans la distinction entre contrôleurs et inspecteurs du travail. Les inspecteurs ont techniquement une place plus élevée dans la hiérarchie, reçoivent un salaire supérieur et peuvent avoir des responsabilités d’encadrement. Contrôleurs et inspecteurs disposent des mêmes pouvoirs d’entrée sur les lieux de travail, d’obtention des documents et de constatation des infractions, et travaillent habituellement dans des groupes composés d’un inspecteur et deux contrôleurs.
Le nombre d’« agents de contrôle » du travail, qui rassemble à la fois les inspecteurs et les contrôleurs, a atteint 2 190, le 31 décembre 2009, après une réforme de l’inspection du travail, et se maintient depuis. Le 31 décembre 2015, ils étaient 2 188 agents affectés au contrôle des entreprises.
Vers la disparition des contrôleurs du travail
L’inspection du travail a entamé un changement en profondeur en 2006, avec le Plan de modernisation et de développement de l’inspection du travail, qui a créé 700 postes d’agents de contrôle. Ce plan a été suivi d’une réforme en 2013, qui prévoit de supprimer complètement le poste de contrôleur du travail.
« La réforme n’aura pas pour effet de diminuer les effectifs affectés au système d’inspection du travail et chacun aura sa place dans la nouvelle organisation, lit-on dans le texte mis au point sous Michel Sapin, alors ministre du travail. Elle se traduira par un important mouvement de promotion et de qualification puisque, dans une dizaine d’années, les agents de contrôle ne seront plus que des inspecteurs du travail, avec la mise en extinction du corps des contrôleurs. »
Le rapide déclin du nombre de contrôleurs, dénoncé par les syndicats, est donc dû à un basculement de ceux-ci vers le poste d’inspecteur, plutôt qu’à des licenciements. La transformation du métier de contrôleur du travail en celui d’inspecteur du travail est, de fait, une promotion. Le poste, normalement accessible aux contrôleurs du travail après un concours nécessitant au moins cinq ans de services, conserve les avantages qui lui sont propres. Un contrôleur du travail gagne entre 1 471 et 2 502 euros brut par mois, alors qu’un inspecteur gagne entre 1 902 et 3 289 euros brut.
Moins de procédures engagées
Une certaine inquiétude règne, cependant, au sein de la profession, car les inspecteurs peuvent être amenés à accomplir des tâches différentes de celles des contrôleurs. De plus, la réforme de 2013 prévoit de remplacer les 790 sections d’inspection du travail (composées d’un inspecteur et deux contrôleurs) par 230 unités de contrôle composées de huit à douze agents. L’objectif avoué de la réforme est d’avoir « une approche collective des situations » plutôt qu’un grand nombre de petites équipes proches du terrain. Ces changements récents au sein de l’inspection du travail ont généré des contestations parmi les salariés, craignant une diminution de leur efficacité. Malgré le gain de 700 agents de contrôle, le nombre d’interventions par agent est passé de 161 en 2007 à 92 en 2015. Le nombre total de procédures engagées a également largement diminué depuis le début de la réforme.
La CGT-TEFP dénonce également les risques que cette restructuration représente pour les contrôleurs qui ne peuvent ou ne veulent pas passer le concours pour accéder à la fonction d’inspecteur, estimés à plus de 800 par le syndicat, en juillet 2017. Dans une lettre adressée à la ministre, le 8 mars, la CGT-TEFP demande le passage automatique de tous les contrôleurs en inspecteurs, proposition qui ferait l’unanimité au sein des syndicats, afin de ne laisser personne sur le bas-côté.