En Hongrie, Viktor Orban radicalise son discours, tout en restant au Parti populaire européen
En Hongrie, Viktor Orban radicalise son discours, tout en restant au Parti populaire européen
Par Blaise Gauquelin (Budapest, envoyé spécial)
Malgré ses propos complotistes et aux relents antisémites, le premier ministre hongrois reste choyé par le camp conservateur.
Viktor Orban, le premier ministre hongrois, à Budapest, le 15 mars 2018. / ATTILA KISBENEDEK / AFP
Au niveau européen, le Fidesz de Viktor Orban appartient au Parti populaire européen (PPE), le groupe parlementaire qui rassemble plusieurs formations conservatrices à Strasbourg, dont Les Républicains de Laurent Wauquiez et la CDU d’Angela Merkel. Le président du groupe parlementaire, Manfred Weber, et le président du PPE, le Français Joseph Daul, sont régulièrement critiqués pour leur complaisance à l’égard du premier ministre hongrois, maintes fois accusé, sans conséquences, de graves dérives autoritaires.
En visite à Budapest, mardi 20 mars, les deux responsables de la droite européenne se sont réjouis en entendant M. Orban les assurer de son maintien dans leurs rangs : « Aux élections européennes de 2019, le Fidesz se tiendra aux côtés du PPE », a affirmé le chef du gouvernement hongrois, mettant fin à toute spéculation de mise à l’écart. « Nous en sommes fiers (…). C’est vrai que nous nous situons à la droite de ce courant politique. Mais le PPE est une grande tente au sein de laquelle notre genre de partis a aussi sa place. »
Viktor Orban entend donc rester un membre à part entière de la famille politique dominant actuellement le paysage politique européen, tout en continuant à jouer une partition toujours plus singulière, depuis le début de la crise des migrants.
Sans « fausse pudeur »
En campagne pour sa réélection en vue des législatives du 8 avril, il a en effet tenu des propos, le 15 mars que mêmes certains partis européens d’extrême droite n’oseraient pas assumer publiquement. C’était à l’occasion de la fête nationale, marquant le 170e anniversaire de la révolution d’indépendance hongroise (1848).
Devant plusieurs dizaines de milliers de personnes, il a repris à son compte – sans « fausse pudeur », comme il dit – les théories du complot développées par les cercles les plus radicaux. « Ce n’est pas contre nos partis d’opposition anémiés que nous devons lutter, mais contre un réseau international structuré en empire, a-t-il affirmé. Contre des médias entretenus par des groupes étrangers et des oligarques de l’intérieur (…), contre le réseau des ONG financées par les spéculateurs internationaux, englobé et incarné dans la personne de George Soros. »
Selon lui, ce milliardaire juif américain d’origine hongroise organiserait ce que l’extrême droite appelle le « grand remplacement » des populations européennes, avec l’aide de la Commission européenne (dirigée par un membre du PPE, Jean-Claude Juncker). « Si nous laissons faire, sur les deux décennies à venir, des dizaines de millions de migrants prendront la route de l’Europe à partir de l’Afrique et du Proche-Orient. La partie occidentale de l’Europe regarde tout cela les bras croisés (…). Les jeunes d’Europe occidentale connaîtront le jour où ils se retrouveront en minorité dans leur propre pays. »
Le ton a parfois des relents des années 1930 : « Nous avons affaire à un adversaire qui est différent de nous. Il n’agit pas ouvertement, mais caché, il n’est pas droit, mais tortueux, il n’est pas honnête, mais sournois, il n’est pas national, mais international, il ne croit pas dans le travail, mais spécule avec l’argent, il n’a pas de patrie parce qu’il croit que le monde entier est à lui (…). Nous avons fini par renvoyer chez eux le sultan et ses janissaires, l’empereur Habsbourg et ses fidèles, les soviets et leurs camarades, et maintenant nous allons en faire autant avec l’Oncle George et son réseau. S’il te plaît, retourne en Amérique et occupe-toi plutôt du bonheur des Américains. »
Ces propos sont désormais repris en boucle par tous les membres du Fidesz, qui les propagent comme autant « d’éléments de langage ». Viktor Orban se sent autorisé à les endosser, car la Hongrie aurait été rejointe, dans un combat mené auparavant en solitaire depuis son élection en 2010, par la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque, l’Autriche et désormais les Italiens « qui ont dit non à l’immigration » à l’occasion des dernières élections. Hors de l’Union européenne, il cite également comme des « camarades de combat » les Etats-Unis qui ont « élu un président hostile à l’immigration », les Britanniques qui ont « choisi leur propre voie » et Israël qui « tient toujours ».
Selon l’analyste politique Peter Kreko, directeur du think tank Political Capital, l’homme fort de Budapest souhaite « renforcer l’extrême droite et non la droite. Il est très intéressé par un remplacement des élites en Europe. Il espère que toutes les crises que vit actuellement le continent, et en premier lieu la crise migratoire, vont balayer le mainstream actuel ». Au sein duquel, pourtant, on ne lui connaît pas que des ennemis.