Les locaux londoniens de Cambridge Analytica, l’entreprise qui a collecté les données de dizaines de millions d’utilisateurs à leur insu. / DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Aux Etats-Unis, les données de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook ont été collectées à leur insu par l’entreprise Cambridge Analytica, cheville ouvrière de la campagne numérique de Donald Trump et plus particulièrement chargée du ciblage des publicités de cette campagne.

Pour aspirer autant de données, Cambridge Analytica a profité du fait qu’à l’époque, lorsqu’ils développaient une application à l’intérieur de Facebook, les développeurs pouvaient aspirer les données de leurs utilisateurs mais aussi de leurs amis. Ce n’est plus possible depuis avril 2015. Même sans cela, en France, plusieurs obstacles légaux rendent plus difficiles des activités comme celles de Cambridge Analytica.

  • La collecte des données sur les réseaux sociaux encadrée par la loi

La collecte de données à des fins de communication politique est encadrée en France, comme l’explique sur son site la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Il est ainsi illégal d’en aspirer sur les réseaux sociaux sans en informer au préalable les personnes concernées. Ces dernières doivent aussi pouvoir s’opposer à la collecte d’informations.

Sur le ciblage des électeurs, la CNIL précise aussi que l’utilisation de données d’usage (combien de fois une personne interagit avec un candidat sur Facebook, quand, quelles pages sont visitées, etc) requiert le consentement des internautes.

  • La publicité politique interdite

Même s’ils réussissaient à obtenir des données, difficile pour les organisateurs de campagnes politiques de pratiquer une opération semblable à celle menée par les équipes de Donald Trump. La France en effet, possède un régime très strict en matière de publicité politique. Celle-ci est interdite par le Code électoral.

Résultat : pendant les six mois précédent une élection, les candidats peuvent diffuser leurs messages et idées politiques, mais ne peuvent pas utiliser d’outils dits « publicitaires ». « Ils n’ont pas le droit par exemple d’acheter un espace publicitaire sur Facebook », explique Jacques Priol, président de la société de conseil Civiteo (spécialisée dans l’usage de données dans la décision publique) et spécialiste de la « big data électorale ».

  • Des budgets incomparables

En France, les budgets autorisés pour les campagnes électorales sont plafonnés par la loi, ce qui rend difficile, a priori, le recours à une entreprise comme Cambridge Analytica. Pour la présidentielle de 2017, le plafond des dépenses pour les candidats présents au premier tour était fixé à 16,851 millions d’euros, celui applicable aux candidats présents au second tour, à 22,509 millions d’euros.

A titre de comparaison, les données publiées par la commission électorale américaine indiquent que les équipes de communication de Donald Trump ont versé entre juillet et décembre 2016 5,9 millions de dollars (environ 5,3 millions d’euros) à Cambridge Analytica.

  • Il est tout de même possible de se procurer des données personnelles

Les partis ou candidats peuvent tout de même acheter des fichiers de données clients. « C’est autorisé par le code électoral. Ou du moins, ce n’est pas interdit », indique Jacques Priol. Dans un document sur l’utilisation de ces fichiers à des fins politiques, la CNIL précise que cela est possible « sous certaines conditions » :

- que le fichier émane d’une entreprise privée ;

- que les personnes dont les données sont collectées soient « averties de l’éventuelle utilisation de leurs données à des fins de communication politique ».

  • En France aussi, des logiciels utilisent vos données à des fins politiques

L’utilisation de logiciels destinés au ciblage politique s’est normalisée, y compris en France. NationBuilder, Cinquante + Un ou DigitaleBox sont quelques exemples de ces logiciels qui utilisent différentes méthodes pour collecter des données sur les électeurs potentiels.

Vincent Moncenis, de DigitaleBox, qui se dit « outré » par les « techniques de barbouze » de Cambridge Analytica, explique au Monde qu’il se procure, notamment auprès de sites qui permettent de lancer des pétitions, les données (noms, prénoms, adresse e-mail, adresse) de signataires. Il utilise aussi les données des listes électorales, tout comme Guillaume Liegey, l’un des cofondateurs de Liegey Muller Pons.

Pour le fonctionnement de son logiciel Cinquante + Un (qui donne « des outils d’analyse de l’opinion au niveau local »), Guillaume Liegey raconte avoir par exemple acheté « des données de géolocalisation à une entreprise spécialisée dans la réduction d’URL ». Il arrivait ainsi « à savoir dans quelle région on lisait le plus d’articles de presse sur tel ou tel sujet ». Ces données, assure-t-il, sont toujours anonymisées.