Japonais, chinois ou vietnamien, ces arts martiaux que vous ne connaissez pas
Japonais, chinois ou vietnamien, ces arts martiaux que vous ne connaissez pas
Par Anthony Hernandez
Traditionnelle, comme le Tay Son vo dao, ou toute nouvelle, comme le gu qi dao, ces disciplines sont à découvrir au 33e Festival des arts martiaux à Paris, samedi.
Maître Aosaka effectue une démonstration de son art martial, le shorinji kempo. / Festival des arts martiaux
Patrimoine asiatique vivant, les arts martiaux ont un succès qui ne se dément pas en France. Mais il n’existe pas que le judo, le karaté ou encore le taekwondo. Samedi 24 mars, à l’ancien Palais omnisports de Paris-Bercy (aujourd’hui AccorHotels Arena), à le 33e Festival des arts martiaux présentera des disciplines variées, traditionnelles ou modernes. Rencontre avec trois maîtres qui enseignent leur art à Paris.
Le Tay Son vo dao, être fort pour être utile
Il ne faut pas se fier à ses cheveux épars et grisonnants. A 68 ans, le maître Phan Toàn Châu, expert en Tay Son vo dao, adore impressionner par de spectaculaires démonstrations de casse. Une heure avant de donner un cours, assis dans l’un des vestiaires du dojo de Grenelle, petite oasis parisienne des arts martiaux, il attire notre attention sur ses pieds massifs : « Je suis l’un des seuls au monde à réussir les pratiques avec des parties fragiles du corps. Par exemple, mon pied repose sur des tuiles, on abat violemment dessus une autre pile. Les tuiles se cassent, mais pas mon pied. C’est l’entraînement. »
Le Tay Son vo dao, la « voix de l’art martial de la montagne de l’Ouest », est l’un des quatre piliers des arts martiaux vietnamiens, desquels découlent une centaine d’écoles différentes. Tay Son est une région du centre du Vietnam, carrefour obligé entre Nord et Sud. « C’est une région encore marquée par les guerres. Les gens ont créé une façon de se battre différente des autres », explique Phan Toàn Châu.
A l’origine, il y a plus de deux cents ans (les arts martiaux vietnamiens existent depuis des milliers d’années), on trouve trois paysans en rébellion contre un pouvoir oppresseur. Ils mettent au point cet art martial et réunissent une armée de mécontents. L’un deux, Quang Trung, devenu roi, est d’ailleurs le premier à unifier le pays.
Après la Chine, le Japon et la Corée, le Vietnam est peut-être le moins connu des pays de tradition des arts martiaux. Sous la menace permanente du voisin chinois, les Vietnamiens sont pourtant parvenus à conserver leur culture, leur langage et leur manière de combattre. « L’esprit Tay Son est un esprit d’adaptation, qui prône l’efficacité. On a moins de troupes, on attaque et on se replie », explique Phan Toàn Châu.
Chau Phan Toan
Durée : 04:41
Un enseignement adapté au pays d’accueil
Après la victoire des communistes en 1975, trois millions de personnes fuient le Vietnam. Cette diaspora a essaimé les arts martiaux aux Etats-Unis, en Australie ou en France. Phan Toàn Châu est l’un de ces boat people vietnamiens.
Dès sa deuxième semaine d’exil parisien, il trouve sa vocation grâce à un maître français qui lui propose de donner des cours. « Grâce au maître Antoine Lecomte, j’ai trouvé ma première salle avant d’intégrer le dojo de Grenelle, en 1981. J’ai débuté avec quatre élèves. On est cent aujourd’hui et plus de 500 en France. »
Le Vietnamien adapte son enseignement à son pays d’accueil, moins dur et plus ouvert au dialogue, contrairement à la hiérarchie qui, au Vietnam, conduit le maître seul à s’exprimer. Phan Toàn Châu croit au rôle social de son art : « A notre époque, ce ne sont pas les agressions de rue qui menacent le plus les gens, mais le chômage. Le Tay Son vo dao aide à se sentir mieux dans sa tête, plus fort. C’est ce qu’illustre notre devise, “être fort pour être utile”. »
Le maître Phan Toàn Châu fait aux spectateurs une démonstration de Tay Son vo dao. / Festival des arts martiaux
Le gu qi dao, la tentation de la modernité
C’est une drôle de danse, la danse du Qi (de l’énergie). Le maître Gu Ji tire un rideau, prend un pinceau et dessine dans l’air un huit, il offre une tasse de thé, puis une deuxième, il récupère une feuille qui tombe, la jette et téléphone… Le maître n’a pas perdu la raison, il innove. Ce Chinois de 48 ans, émigré en France à l’âge de 21 ans, a fondé un nouvel art martial à partir de disciplines telles que le kung-fu, le tai-chi ou encore le qi gong.
« L’idée est de transformer un certain nombre de gestes du quotidien en techniques. Par exemple, chaque jour, on doit s’habiller et se déshabiller. Sans en avoir conscience, vous vous entraînez », explique Gu Ji. Chacun des 24 mouvements a son application en self-défense. Le geste du téléphone, comme celui du déshabillage ou de l’habillage, permettent de bloquer un éventuel coup et d’enchaîner pour neutraliser l’agresseur.
C’est en enseignant les arts martiaux chinois traditionnels depuis 1993 que Gu Ji a conçu sa méthode. Il constate que beaucoup d’élèves n’ont pas le temps de s’entraîner autant qu’il le faudrait. Au lieu d’entraînement, le maître parle d’amusement, censé permettre le relâchement et la détente des pratiquants. Au lieu de combat, on utilise le terme de danse.
Peintre et maître
Kajyn : Initiation au Gu Qi Dao avec MAÎTRE GU JI
Durée : 16:04
Diplômé des Beaux-Arts de Shanghaï, maître Gu Ji continue de manier le pinceau comme ses parents, tous deux artistes peintres. Sa passion des arts martiaux lui vient de son oncle, James Kou, fondateur de la Fédération française de tai-chi.
La dimension martiale du gu qi dao se trouve dans la partie self-défense. Le maître insiste sur la volonté de se défendre sans blesser. Pour cela, il utilise là encore des objets du quotidien. Tout heureux de participer, on lui propose d’emprunter notre ouvrage, la biographie de Staline par son rival Trotsky, en version livre de poche. « Souvent, un coup de pied avec des godasses très dures peut casser la main. Le livre amortit énormément et permet de désarmer ensuite », souligne l’expert.
Le shorinji kempo, « le plus dangereux des arts martiaux »
Le sensei (le « maître », « celui qui enseigne ») a peut-être la moustache et la chevelure grisonnantes, mais il est encore vert. Dans le dojo du gymnase Lafay (17e arrondissement de Paris), la démonstration de shorinji kempo, effectuée devant ses élèves regroupés religieusement, impressionne de facilité, de fluidité et d’énergie. Si l’œil ne rend pas hommage à la puissance dégagée, il suffit de regarder son assistant grimacer et subir chaque impact malgré un plastron protecteur.
Quelques instants plus tôt, le maître Hiroshi Aosaka expliquait la dangerosité de son art martial qui, par son aspect de self-défense, n’interdit rien : « C’est le plus dangereux des arts martiaux. Il faut du contrôle, car il donne la possibilité de tuer. En tout cas, de mettre quelqu’un très facilement K.-O. »
Le shorinji kempo a été fondé en 1947 par le sensei So Doshin après son retour au Japon. Ce Japonais, originaire de Tadotsu, sur l’île de Shikoku, a passé de longues années en Chine, recevant notamment un enseignement au fameux temple shaolin. C’est pourquoi son art martial mêle ju-jitsu, kenjutsu, boxe chinoise ou encore boxe anglaise.
« Techniquement, il y a peu d’influence chinoise, mais philosophiquement, le shorinji kempo mixe art chinois et japonais », explique maître Aosaka, qui précise la raison d’être du shorinji kempo : « Le plus important est de protéger les amis, protéger la famille et se protéger. »
Aosaka
Durée : 04:21
Né le 19 avril 1946 à Tsukumishi, dans la préfecture d’Oita, Hiroshi Aosaka est le descendant d’une famille de samouraïs originaires de l’île de Kyushu. Son père était plus tourné vers les études. Son fils débute, lui, par le ju-jitsu, avant de se former au judo et de se tourner, à 17 ans, vers le shorinji kempo pour une raison pratique : « A cette époque, les catégories n’existaient pas, et à 60 kg contre 110 kg, les techniques marchent pas. Mais au shorinji kempo ça marche, car pas d’interdits. »
En 1972, après plusieurs années de pratique, il est choisi par le sensei So Doshin pour développer le shorinji kempo en Europe (dans une dizaine de pays). Il commence son entreprise évangélisatrice par Paris, « pointé au hasard sur une carte ». Hiroshi Aosaka trouve en France un terreau fertile grâce à une très bonne « citoyens quality ». Une chose agace cependant le sensei, en contradiction avec les principes du bouddhisme : « Ma femme, française, souvent critique, commence [à faires des] comparaisons. Pourquoi [faire des] comparaisons ? »