Editorial du « Monde ». Vladimir Poutine est visiblement aussi doué pour galvaniser son peuple en jouant sur la fibre nationaliste que pour ­coaliser contre lui un front uni à l’extérieur. Dans un mouvement inédit par son ampleur, les Etats-Unis, le ­Canada, ainsi que seize pays de l’Union européenne (UE) parmi lesquels la France, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Pologne, ont annoncé lundi 26 mars de façon simultanée et concertée l’expulsion d’au moins 116 diplomates russes.

Ces mesures de représailles spectaculaires font écho à l’empoisonnement au gaz neurotoxique le 4 mars de l’ex-espion russe Sergueï Skripal et de sa fille, alors qu’ils s’étaient réfugiés en Grande-Bretagne. Une semaine après son élection triomphale, le président russe se retrouve plus isolé que jamais sur la scène internationale.

Le Royaume-Uni accuse la Russie d’avoir commandité cette tentative d’assassinat, dont le modus operandi porte la signature de Moscou. Dans un premier temps, Theresa May, la première ministre britannique, avait fermement répliqué en expulsant vingt-trois diplomates russes. Si l’UE avait très vite apporté son soutien à Londres, la position américaine avait été plus compliquée à décrypter après le coup de fil passé par Donald Trump à Vladimir Poutine pour féliciter ce dernier de son élection sans même évoquer le différend créé par l’empoisonnement de Sergueï Skripal.

Solidité de la solidarité occidentale

Malgré les louvoiements de M. Trump sur ses rapports avec la ­Russie, les expulsions de diplomates russes décidées lundi lèvent les ambiguïtés sur la solidité de la solidarité occidentale face à un acte qualifié par la Maison Blanche d’« attaque odieuse ». L’UE, elle, a su passer outre les tensions inhérentes aux négociations sur le Brexit pour réaffirmer son appui indéfectible à Londres.

Le camp occidental n’avait d’autre choix que de réagir de façon nette et ferme. Même si ces expulsions de diplomates restent symboliques, elles signifient clairement que Moscou a franchi la ligne rouge en utilisant pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale une arme ­chimique sur le sol européen. Habile joueur d’échecs, Vladimir Poutine a testé à de maintes reprises la capacité de réaction des Occidentaux, qu’il s’agisse de l’intervention en Ukraine, de l’annexion de la Crimée, de son rôle en Syrie ou des interférences dans les élections américaines. De ce point de vue, l’affaire Skripal est un pion poussé trop loin aux yeux des Occidentaux.

Comme à chaque fois, Moscou martèle n’avoir rien à voir avec cet empoisonnement, accusant les alliés de la Grande-Bretagne de suivre « aveuglément le principe de l’unité euro-atlantique au détriment du bon sens, des normes d’un dialogue civilisé entre Etats ». Justement, les Occidentaux, en optant pour une riposte graduelle, ont choisi de maintenir le dialogue avec la Russie au moment où celui-ci reste indispensable. Même si Moscou a d’ores et déjà annoncé vouloir riposter selon le « principe de réciprocité », il en va de l’intérêt de chaque camp de trouver les clefs de la désescalade.