Ce que l’on sait du meurtre de l’octogénaire juive Mireille Knoll
Ce que l’on sait du meurtre de l’octogénaire juive Mireille Knoll
Le Monde.fr avec AFP
Alors que deux suspects ont été mis en examen, notamment pour « homicide volontaire » à caractère antisémite, une « marche blanche » en sa mémoire est organisée mercredi.
Devant la résidence où vivait Mireille Knoll, un an appel à la marche blanche organisée en sa mémoire, mercredi 28 mars. / LIONEL BONAVENTURE / AFP
L’enquête a mis en évidence, lundi 26 mars, le caractère antisémite du meurtre de Mireille Knoll, rescapée de la Shoah âgée de 85 ans retrouvée morte vendredi à son domicile. Dans cette affaire encore entourée de zones d’ombre, deux hommes ont été mis en examen dans la nuit de lundi à mardi pour « homicide volontaire » à caractère antisémite et « vol aggravé ». Plusieurs personnalités ont appelé à participer, mercredi, à la « marche blanche » organisée en sa mémoire par les principales organisations juives.
- Qui était Mireille Knoll ?
Née le 28 décembre 1932 à Paris, Mireille Knoll s’était enfuie avec sa mère de la capitale avant l’arrestation massive de plus de 13 000 juifs en juillet 1942, lors de la rafle du Vel d’Hiv. C’est un passeport brésilien hérité de son père qui lui avait alors permis de passer la ligne de démarcation et de trouver refuge au Portugal. Après la guerre, elle avait épousé un survivant d’Auschwitz, décédé il y a une quinzaine d’années selon un de ses deux fils. Ils avaient vécu au Canada avant de revenir à Paris, où son mari tenait un atelier d’imperméables dans le quartier juif du Sentier.
Mireille Knoll habitait seule au deuxième étage de son logement social de l’avenue Philippe-Auguste, dans le 11e arrondissement de Paris. Souffrant de la maladie de Parkinson, et handicapée par une mobilité très réduite, elle ne sortait de chez elle qu’en fauteuil roulant, accompagnée de son auxiliaire de vie. « Juive de cœur » mais non pratiquante, elle a mené « une vie modeste » d’après sa petite-fille, élevant ses fils au sein « d’une famille très ouverte, au contact de plein d’amis de toutes les religions ».
- Dans quelle circonstance son corps a-t-il été retrouvé ?
Vendredi 23 mars, vers 18 h 30, Mireille Knoll a été retrouvée dans son lit, le corps en partie calciné et lardé de onze coups de couteau. Ce sont les pompiers qui l’ont découverte alors qu’ils intervenaient pour éteindre l’incendie qui s’était déclaré dans son appartement. Appelés sur place, les techniciens du laboratoire central de la préfecture ont, eux, relevé cinq départs de feu.
- Qui sont les suspects ?
Le parquet de Paris a confié les investigations aux policiers du deuxième district de police judiciaire. L’enquête de voisinage a rapidement permis d’identifier un premier suspect, un voisin de l’octogénaire. Agé de 27 ans, le jeune homme, que l’octogénaire connaissait depuis l’enfance, se rendait régulièrement chez elle. Un des fils de Mme Knoll a d’ailleurs fait savoir aux enquêteurs qu’il avait aperçu le suspect en compagnie de sa mère le jour du drame. C’est en se rendant sur le lieu du crime, le lendemain, qu’il a été interpellé, puis placé en garde à vue.
Ce dernier est déjà connu des services de police et de justice pour des affaires de viol et d’agression sexuelle. Il a notamment été condamné en 2017 pour avoir agressé sexuellement une fillette de 12 ans au domicile de Mme Knoll, où celle-ci vivait avec sa mère, aide à domicile de l’octogénaire.
Un deuxième suspect, âgé de 21 ans, a été arrêté durant le week-end, près de l’opéra Bastille, après la mise en place d’un important dispositif de surveillance, comprenant la mobilisation de la brigade de recherche et d’intervention. Ce sans-domicile fixe est soupçonné d’avoir été présent au moment de l’assassinat. Il est bien connu des services de police, en particulier pour des faits de violence, de menaces et de vols avec effraction.
La fenêtre condamnée de l’appartement de Mireille Knoll, retrouvée dans son lit, le corps en partie calciné dans un incendie volontaire, vendredi 23 mars, à Paris. / LIONEL BONAVENTURE / AFP
- Quelles sont les pistes privilégiées ?
Les deux hommes, qui n’ont pas été confrontés durant leur interrogatoire, ont présenté des versions contradictoires, s’accusant mutuellement d’avoir porté les coups mortels. L’un des suspects a déclaré en garde à vue que son complice présumé avait crié « Allahou akbar » au moment de commettre les faits.
Ils ont été mis en examen dans la nuit de lundi à mardi pour « homicide volontaire à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion », « vol aggravé » et « dégradation ». Ils ont été placés en détention provisoire.
Plusieurs éléments ont conduit le parquet de Paris à retenir le caractère antisémite dans cette affaire. Une information judiciaire a été ouverte lundi pour « assassinat à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion et sur personne vulnérable ».
A ce stade des investigations, les motivations précises du crime ne sont pas connues. D’après une source proche de l’enquête, le mobile privilégié par les enquêteurs est celui d’un vol, profitant de l’état de faiblesse de Mireille Knoll, même si cette dernière vivait très modestement. L’hypothèse du crime crapuleux ne remet pas en cause le caractère antisémite des faits, notamment sachant que l’un des suspects connaissait la religion de la victime.
- Quelles sont les réactions ?
Ce meurtre suscite une vive émotion, notamment au sein de la communauté juive, et dans le monde politique. Le président du Consistoire israélite de Paris, Joël Mergui, a immédiatement salué la « réactivité » des enquêteurs, tandis que le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Francis Kalifat, a exprimé sur Twitter son « soulagement » que le motif antisémite ait été retenu. « Ce n’est malheureusement pas une surprise », a réagi pour sa part, auprès du Monde, le député des Français de l’étranger Meyer Habib qui, du fait de ses fonctions, a très vite été au contact des enfants et petits-enfants de la vieille dame.
« Ignoble », « abject », « abominable » : la classe politique a également unanimement condamné ce meurtre. « J’exprime mon émotion devant le crime épouvantable commis contre Mme Knoll. Je réaffirme ma détermination absolue à lutter contre l’antisémitisme », a réagi sur Twitter le président Emmanuel Macron. Le premier ministre, Edouard Philippe, recevra mercredi la famille de la victime.
J’exprime mon émotion devant le crime épouvantable commis contre Mme Knoll. Je réaffirme ma détermination absolue à… https://t.co/Q4zI6FT9M5
— EmmanuelMacron (@Emmanuel Macron)
Le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a dénoncé mardi, lors des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, les « stéréotypes » qui sont à l’origine selon lui du meurtre d’une octogénaire :
« Ce qui était terrible, c’est que l’un des auteurs disait à l’autre “c’est une juive, elle doit avoir de l’argent”. »
« Les juifs ne sont pas en sécurité en France », a relevé mardi Malek Boutih, ancien député PS et ex-président de SOS Racisme, tandis que Laurent Wauquiez, président des Républicains, a appelé « chacun » à ouvrir « enfin les yeux » et que Marine Le Pen, présidente du Front national, dénonçait « un acte barbare ».
Christophe Castaner, délégué général de La République en marche, a appelé les adhérents de son mouvement à participer à la « marche blanche » prévue à Paris mercredi, à 18 h 30, entre la place de la Nation et le domicile de la victime.
- Quels sont les précédents ?
Ce meurtre intervient un an après celui, dans le même quartier, de Sarah Halimi, une juive défenestrée par un voisin au cri de « Allahou akbar ». Alors que dans l’affaire Halimi, en avril 2017, la justice n’avait pas tout de suite retenu le mobile antisémite, elle ne semble pas avoir hésité cette fois.
Le nombre d’actes antisémites a certes de nouveau reculé en 2017, mais reste à un niveau préoccupant, et la communauté juive de France, qui représente moins de 1 % de la population, est la cible d’un tiers des actes haineux recensés dans le pays.
En outre, les violences à caractère antisémite sont, elles, en hausse, et cette augmentation des « passages à l’acte » préoccupe les autorités. Depuis 2006 et l’assassinat d’Ilan Halimi, onze personnes ont été tuées en France parce que juives, selon les responsables communautaires. « Cette succession de meurtres nous rappelle que la communauté juive est la cible privilégiée de ceux qui haïssent la République et ses valeurs », a déclaré le président du Consistoire israélite, Joël Mergui.