Les entreprises plébiscitent les compétences comportementales, le « diplôme du terrain »
Les entreprises plébiscitent les compétences comportementales, le « diplôme du terrain »
LE MONDE ECONOMIE
Dans le monde du travail, notamment dans les secteurs qui peinent à recruter, les qualités relationnelles deviennent essentielles.
Ce n’était pas, au départ, le métier qu’il s’était choisi. Mais, faute de travail dans le BTP malgré son CAP constructeur béton armé, Anthony Delaporte a découvert l’univers du nettoyage en 2015, à l’occasion de remplacements, puis d’un contrat avec le GEIQ Propreté de Loire-Atlantique, une structure départementale de recrutement et de professionnalisation pilotée par les entreprises du secteur.
Le CDI qu’il vient de signer avec la société Impec Entretien, ce Nantais de 25 ans le doit avant tout à « son autonomie et sa motivation », explique Matthieu Potier, son responsable de secteur. « Dès le premier jour, il nous a proposé un rapport sur son activité et la mise en place du matériel pour préparer le travail du lendemain. »« Je suis pratiquement toujours de bonne humeur », avoue modestement Anthony Delaporte, à présent titulaire d’un certificat de qualification professionnelle d’agent de rénovation de propreté.
Bonne humeur, sens de l’initiative, créativité, écoute, attention au détail, fiabilité… « Six employeurs sur dix considèrent que les compétences comportementales mentionnées dans les CV sont plus importantes que les compétences techniques », selon une étude dévoilée par Pôle emploi à la veille des troisièmes Rencontres de l’emploi, organisées ce 28 mars par cette institution à la Maison de la mutualité, à Paris, et dont Le Monde est partenaire. L’organisme public a interrogé, en juin dernier, 4 850 établissements sur leurs critères de recrutement.
Des sociétés « plus ouvertes dans leurs recrutements »
Avec l’expérience professionnelle, ces qualités priment surtout sur l’expertise métier ou le diplôme dans les activités de services. C’est le cas dans l’hébergement, la restauration, le commerce de détail, les activités immobilières mais aussi l’agroalimentaire et les transports. « On reprend conscience de la valeur du “diplôme du terrain”, comme on l’appelle chez McDo, remarque Michael Sidney Levy, cofondateur de la plate-forme de coordination de sociétés de courses Deliver.ee. Chez un livreur, cela se traduit notamment par sa capacité à savoir se présenter en fonction de l’enseigne pour laquelle il frappe à la porte du client. »
Dans un pays qui ne jure que par les diplômes, l’évolution semble notable. La conjoncture l’explique en partie : le taux de chômage est à son taux le plus bas depuis 2009, à 8,9 % de la population active fin 2017, et des milliers de postes restent inoccupés, faute de candidats. Cela amène les entreprises « à se montrer beaucoup plus ouvertes dans leurs recrutements, si elles ne trouvent pas de profils qui correspondent complètement à leurs besoins », confirme-t-on chez ManpowerGroup France.
Alain Roumilhac, le président de la société de travail temporaire dans l’Hexagone, constate ainsi que « les employeurs sont prêts à investir pendant quelques mois dans une formation sur la partie savoir-faire. Les compétences “douces” sont plus compliquées et plus longues à acquérir. Dans les secteurs en tension, quelqu’un qui maîtrise les codes relationnels n’aura aucun problème pour être employé ».
Des tests psychométriques
La France manque en effet de chaudronniers, de soudeurs, de bouchers, de traiteurs, de cuisiniers, de maroquiniers… Régleurs, charpentiers, carrossiers automobiles, vétérinaires, agents de traitement thermique et de surface, couvreurs, tuyauteurs, dessinateurs en électricité et électronique, géomètres arrivent en tête de la liste à la Prévert des métiers qui ont peiné à recruter en 2017 établie par Pôle emploi.
Salvatore Perri, dirigeant de Vapiano, un concept de restaurant italien « fast casual », ne craint pas, pour sa part, de ne pas trouver le millier de personnes qu’il embauchera cette année pour ses 13 nouveaux restaurants : il n’exige aucun diplôme (sauf pour le poste de barman), et ses contrats sont tous à durée indéterminée, dont une majorité de 35 heures par semaine. En revanche, explique-t-il, « 80 % de nos échecs de recrutement de “vapianisti” sont liés à des problèmes d’attitude ». Les compétences requises ? Elles découlent de l’interface permanente avec les clients dans ce concept aux cuisines ouvertes. Sens du travail en équipe, mais aussi fiabilité, gestion du stress et empathie…
Détecter les qualités humaines et relationnelles n’est ni facile ni anodin. Les recruteurs, dont Vapiano, auront de plus en plus recours à des tests psychométriques pour les évaluer. Car « les personnes qui arrivent chez nous n’ont généralement pas conscience de leurs compétences », témoigne Corinne Le Bellour, la directrice du GEIQ Propreté de Loire-Atlantique. « Souvent, elles n’ont pas confiance en elles, c’est donc à nous de leur faire confiance. » Le pari sur le potentiel de personnes peu diplômées ou en reconversion est d’ailleurs au cœur du fonctionnement de ces 163 regroupements professionnels, créés, dès 1991, en France pour résoudre des problèmes de recrutement.
Si les compétences « douces » figurent de plus en plus en bonne place dans les descriptifs de postes, le CV et la lettre de motivation restent néanmoins « discriminants » pour certains parcours, estime Julien Nowaczyck. Sa plate-forme Onvabosser.fr propose, comme quelques autres, une mise en relation directe entre candidats et recruteurs sans passer par la case des diplômes. Le tri des offres se fonde sur les activités que les individus s’estiment en mesure d’exercer. Des petites et moyennes entreprises du bâtiment, de la logistique et de l’hôtellerie et la restauration peuvent trouver ainsi, « sans rester figées sur la problématique des compétences métier », chaussure à leur pied.
Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Pôle emploi.