Antisémitisme, le refus de la banalisation
Antisémitisme, le refus de la banalisation
Editorial. La marche blanche organisée mercredi en mémoire de Mireille Knoll a réuni des milliers de personnes à Paris. Un sursaut de l’ensemble de la société est nécessaire et urgent.
Dans la marche blanche en hommage à Mireille Knoll, à Paris, le 28 mars. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
Editorial du « Monde ». Comment en est-on arrivé là ? Ou plutôt comment en est-on revenu là, à cette résurgence de plus en plus insistante d’un antisémitisme que l’on voulait croire éradiqué par l’Histoire et les millions de morts de la Shoah ? Comment en est-on revenu à cette vieille haine hideuse, odieuse, qui ne se satisfait plus de préjugés obscurantistes, mais insulte, agresse et, désormais, tue des Français parce qu’ils sont juifs ? Comment en est-on réduit, aujourd’hui, à constater la banalisation de l’intolérable et à devoir descendre dans la rue pour dénoncer cette insulte à la France ?
La justice dira la part des motivations antisémites qui ont conduit au meurtre, dans son appartement parisien, de Mireille Knoll, cette vieille dame de 85 ans qui avait échappé à la rafle du Vél’ d’Hiv en 1942, quand elle était encore une enfant. Mais la liste est déjà accablante des assassinats dont le motif ne fait aucun doute.
Celui d’Ilan Halimi, kidnappé en 2006 et tué par l’autoproclamé « gang des barbares » après d’infinies tortures – Ilan Halimi dont la stèle qui honore la mémoire à Bagneux a été à nouveau profanée à l’automne 2017. Celui des quatre victimes, dont trois enfants, de l’école juive de Toulouse par Mohamed Merah en 2007. Celui des clients de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, en janvier 2015. Celui encore de Sarah Halimi, en avril 2017 à Paris, dont la justice vient de retenir le mobile antisémite après de longs mois d’atermoiements.
Il ne s’agit là que des exemples les plus dramatiques. Ils ne sauraient masquer la banalisation d’un antisémitisme ordinaire, fait d’insultes quotidiennes, d’inscriptions menaçantes dans les cages d’escalier ou sur des magasins juifs, de rassemblements hostiles, d’agressions physiques, d’ostracisme dans les établissements scolaires. Selon les derniers chiffres publiés en janvier par le ministère de l’intérieur, si les actes racistes ont globalement diminué en France en 2016, les actions violentes dont la population juive est la cible ont augmenté de façon très significative, passant de 77 à 97 faits avérés. Encore ne s’agit-il que des agressions déclarées.
« Vigilance et civisme »
Même si le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) ne s’est pas grandi en voulant en écarter Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, la marche blanche qui a réuni à Paris, mercredi 28 mars, des milliers de personnes venues honorer la mémoire de Mireille Knoll témoigne d’une salutaire prise de conscience. Mais il ne suffira pas, comme l’a fait le président de la République, le matin même, lors de l’hommage national au colonel Arnaud Beltrame, victime de l’attaque terroriste de Carcassonne, d’appeler à un « regain de vigilance et de civisme ».
C’est à une lutte sans relâche contre tous les racismes – et particulièrement contre l’antisémitisme – que les pouvoirs publics doivent se consacrer. Des mesures ont été annoncées, le 19 mars, par le premier ministre. Elles visent notamment à encadrer par la loi, en France et en Europe, les obligations et les responsabilités des plates-formes numériques qui permettent la diffusion virale des menaces antisémites. Elles prévoient également de renforcer le travail de prévention et de pédagogie mené par l’éducation nationale. Mais, au-delà, c’est un sursaut de l’ensemble de la société qui est urgent. Pour combattre l’indifférence, alerter les consciences, mobiliser la solidarité républicaine. Et apaiser l’inquiétude et la colère – légitimes – de la communauté juive.