François Compaoré, ancien conseiller de son frère Blaise lorsque celui-ci présidait aux destinées du Burkina Faso, a comparu devant la justice française mercredi 28 mars. Poursuivi par la justice de son pays pour « incitation à assassinats » « au pluriel », comme le précise l’avocate générale de la cour d’appel de Paris –, il risque d’être extradé au Burkina pour y être jugé. La délibération a été fixée au 13 juin.

Dès le début de l’audience, celui qui s’était vu affublé du surnom de « petit président » prévient : « Je refuse d’être remis aux autorités burkinabées. » Puis plus un mot. Le prévenu en costume noir s’en remet à ses avocats, prend des notes sur un petit carnet orange. La chambre de l’instruction est comble. Dans l’auditoire : sa femme, sa fille, un ancien conseiller de Blaise Compaoré, des représentants d’associations, des Burkinabés et des journalistes.

Un procès « très attendu » au Burkina

François Compaoré était entendu par la justice française à la suite de l’émission, en mai 2017, d’un mandat d’arrêt international à son encontre. Il est soupçonné d’être le commanditaire des assassinats du journaliste Norbert Zongo, de son frère Ernest et de ses amis Blaise Ilboudo et Abdoulaye Nikiema, dit Ablassé. Leurs corps ont été retrouvés le 13 décembre 1998 dans une voiture calcinée. Norbert Zongo enquêtait à cette époque sur la mort du chauffeur de François Compaoré.

Une commission d’enquête indépendante avait par la suite été mise en place au Burkina Faso, mais celle-ci a abouti à un non-lieu en 2006 après « la mort d’un officier, le seul inculpé dans cette affaire », précise la présidente de la cour. Qui ajoute, à l’adresse du prévenu : « Des documents sur le journaliste et ses enquêtes depuis 1996 ont été retrouvés à votre domicile, ainsi que les procès-verbaux des témoins les plus importants. »

Interpellé à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle en octobre 2017, François Compaoré était en exil en Côte d’Ivoire et résidait régulièrement à Paris depuis le renversement de son frère par une insurrection populaire, en octobre 2014. « Il vivait à Paris alors qu’il y avait un mandat d’arrêt international ! Ce procès peut être le signe d’un changement de la politique française. Il est très attendu et suivi par le Burkina, car Norbert Zongo est une figure de la liberté d’expression », souligne Bruno Jaffré, un essayiste français qui, pendant des années, a pourfendu le régime Compaoré.

« On le couperait en rondelles »

La représentante de l’Etat burkinabé, Me Anta Guissé, rappelle que « les procédures précédentes ont été bâclées », que « François Compaoré s’est soustrait à la justice de son pays » et que « le nouveau gouvernement a besoin de la coopération française pour l’inculper ». Du côté de la défense, on souligne que les faits remontent à plus de vingt ans, que les conditions de délivrance du mandat n’ont pas été respectées et que François Compaoré risque, s’il est extradé, d’être exécuté.

« Deux projets de textes importants sont en préparation au Burkina Faso pour abolir la peine de mort. Elle ne sera ni requise, ni exécutée », assure la présidente de la cour. L’avocat de la défense, Pierre-Olivier Sur, rebondit alors, journal en main : « Une peine de mort a été annoncée le 15 mars, même si elle n’a pas été exécutée. » Selon lui, François Compaoré « est entendu car ils n’arrivent pas à juger son frère. On l’accuse d’avoir ouvert la porte de son pays aux terroristes. On le couperait en rondelles ».

Les conditions dans lesquelles serait incarcéré le frère cadet du « beau Blaise » ont également agité les débats. Une note du ministère burkinabé de la justice signale que les prisons du pays sont surpeuplées et que l’accès à l’alimentation et les soins restent limités. François Compaoré, s’il est extradé puis condamné, serait détenu dans un quartier « VIP et un taux de surpopulation de 75 % au lieu de 188 % », observe l’avocate générale.

Après plus de trois heures d’audience et une interruption à la suite de l’enregistrement illégal par son épouse de la séance, François Compaoré se lève enfin pour s’exprimer. Les oreilles se tendent pour entendre sa voix fluette : « On dit que j’ai la nationalité ivoirienne pour fuir, mais j’ai été arrêté avec mon passeport burkinabé, car j’ai un attachement pour mon pays. Je n’ai jamais incité quelqu’un à commettre un crime. »