Erdogan tance Macron, accusé de soutenir les Kurdes de Syrie
Erdogan tance Macron, accusé de soutenir les Kurdes de Syrie
Par Marie Jégo (Istanbul, correspondante), Allan Kaval (à Paris)
Le président turc refuse la médiation envisagée par la France.
Recep Tayyip Erdogan, le 30 mars à Ankara. / ADEM ALTAN / AFP
Pour avoir manifesté son soutien à la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS), active contre l’organisation Etat islamique (EI) dans le nord de la Syrie, la France a, vendredi 30 mars, été accusée de tous les maux par le président turc Recep Tayyip Erdogan.
Le numéro un turc a tancé son homologue français Emmanuel Macron, lui reprochant tout particulièrement sa proposition de « médiation » entre les Kurdes syriens et la Turquie. « Qui es-tu pour évoquer une médiation avec une organisation terroriste ? », a fulminé le numéro un turc.
Les dirigeants turcs voient les FDS comme une émanation du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), engagé dans une guérilla contre l’Etat turc depuis 1984. Aux yeux d’Ankara, la création d’une région autonome kurde dans le nord de la Syrie serait une menace pour sa sécurité, car elle risquerait de donner des idées à sa propre région kurde.
Jeudi, le président français avait reçu des membres des FDS pour leur témoigner « la reconnaissance de la France pour leur rôle dans la lutte contre Daech ». Après avoir lutté contre les djihadistes de l’EI, les Kurdes syriens, qui forment l’ossature des FDS, sont désormais confrontés à l’offensive de l’armée turque et de ses supplétifs syriens, bien décidés à les déloger des territoires qu’ils ont conquis dans le nord de la Syrie.
Syrie au 31 mars / Le Monde
Chassées de la région kurde d’Afrin par l’armée turque, les milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) risquent de subir le même sort à Manbij, une ville arabe située à l’ouest de l’Euphrate, où des militaires américains sont basés.
Régulièrement, le président Erdogan menace de diriger son armée vers Manbij et plus loin encore, jusqu’en Irak. Or, selon le Pentagone, l’offensive turque a pour principal effet d’affaiblir la lutte contre l’EI, car les combattants kurdes des FDS s’en sont détournés pour aller aider leurs « frères » à Afrin.
« Nous disons à la France : reste où tu es »
A l’issue de la rencontre à l’Elysée, Khaled Issa, le représentant en France du Parti de l’union démocratique (PYD), avait évoqué l’envoi de troupes françaises à Manbij pour faire obstacle aux visées turques. La réaction d’Ankara ne s’est pas fait attendre. « Ceux qui s’engagent dans la coopération et la solidarité avec les groupes terroristes contre la Turquie (…) risquent de devenir, tout comme les terroristes, une cible de la Turquie », a écrit le vice-premier ministre Bekir Bozdag sur son compte Twitter.
L’opposition kémaliste est sur la même ligne que les islamo-conservateurs au pouvoir. « Nous disons à la France : reste où tu es, tu n’as rien à faire en Syrie », a tonné Engin Altay, député du Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste), vendredi à Ankara.
Pour calmer les esprits, la France a dû exclure toute nouvelle opération ou envoi d’hommes à ce stade, évoquant une simple adaptation de son dispositif militaire en Syrie dans le cadre de la coalition internationale.
Vendredi, les ministres des affaires étrangères turc et français, Mevlüt Çavusoglu et Jean-Yves Le Drian, se sont parlé par téléphone. « La Turquie est un allié avec lequel il est parfois difficile de dialoguer. Les relations peuvent être passionnelles, mais cela n’empêche pas la poursuite du dialogue sur le long terme et les intérêts partagés », rassure une source diplomatique française.
« Contradictions stratégiques »
La France a proposé, entre autres, d’instaurer un dialogue entre la Turquie et les FDS, à condition que ces dernières se départissent de leurs liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme « terroriste » par Ankara, mais aussi par les Etats-Unis et l’UE. Une proposition qui a fortement déplu aux Turcs.
« C’est paradoxal, car le paragraphe concernant la médiation avait été pensé pour montrer notre prise en considération des préoccupations turques quant à la sécurité nationale. », assure le diplomate.
Paris, dit-il, sait bien que l’action militaire contre les FDS est perçue comme le prolongement de la lutte contre le PKK sur le territoire turc. « Mais nous disons aux Turcs que, pour nous, la priorité est la lutte contre Daech. Lorsqu’il y a des contradictions stratégiques entre nous et Ankara sur le nord de la Syrie, notre position doit être prise en compte. »