Ta-Nehisi Coates, la relève contestée
Ta-Nehisi Coates, la relève contestée
Par Gilles Paris (Washington, correspondant)
Certains reprochent à cet auteur et journaliste de n’aborder la cause des Noirs que par le seul prisme de la suprématie blanche.
Ta-Nehisi Coates s’exprime sur scène au New Yorker Festival 2015. / Anna Webber / AFP
La figure de proue de l’élite intellectuelle afro-américaine n’est pas véritablement un rat de bibliothèque. L’auteur et journaliste Ta-Nehisi Coates n’est engagé actuellement dans aucun grand chantier sociologique ou philosophique classique. Il a en effet annoncé au début du mois de mars se consacrer à l’univers des comics, et tout particulièrement à un héros de Marvel, Captain America, qui diffuse, selon lui, un « optimisme lincolnien », comme il l’a expliqué dans les colonnes du magazine réputé The Atlantic, où il dispose de son rond de serviette.
Ce ne sera pas sa première tentative du côté des comics, puisque Ta-Nehisi Coates, né en 1975 à Baltimore (Maryland), a déjà épaulé un autre héros : T’Challa, alias Black Panther, une figure créée en 1966 pendant la lutte pour les droits civiques. Avec succès. Un film, sorti en février, fait pour la première fois de T’Challa le personnage central d’une de ces sagas qui soutiennent efficacement l’industrie cinématographique américaine. L’œuvre est devenue en un temps record un véritable phénomène de société.
Réplique vengeresse
Ta-Nehisi Coates a gagné progressivement en influence par le journalisme, qui l’a conduit vers un blog sur le site de The Atlantic, puis par la force de ses récits autobiographiques. Ces chemins de traverse ne l’ont pas détourné du débat intellectuel. Un essai cinglant paru dans son magazine de prédilection puis un livre publié en octobre 2017 lui ont donné l’occasion de s’attaquer à l’élection de Donald Trump, présentée comme la réplique vengeresse d’une Amérique raciste après les deux mandats de Barack Obama.
« On dit souvent que Trump n’a pas de vraie idéologie réelle, c’est faux, son idéologie est la suprématie blanche, dans toute sa puissance agressive et son esprit de supériorité », écrit Ta-Nehisi Coates, convaincu que ce dernier est mû par la volonté de mettre à bas « une présidence nègre, une protection sociale nègre, des accords sur le climat nègres et une justice nègre ».
Cet article, tout comme l’ouvrage We Were Eight Years in Power. An American Tragedy (« Nous avons été huit ans au pouvoir, une tragédie américaine », Random House One World, non traduit), a suscité beaucoup de commentaires critiques, souvent à sens unique. Le conservateur David French de la National Review s’est ainsi accordé avec le libéral (au sens anglo-saxon) George Packer, du New Yorker, pour contester l’un comme l’autre que le facteur racial, réduit qui plus est à l’opposition entre Noirs et Blancs, soit la seule explication de la victoire de Donald Trump.
L’attaque la plus cinglante est venue de Cornel West, devenu une référence intellectuelle noire après la publication d’un essai, Race Matters (Penguin, 1993, non traduit). Cet activiste qui se définit comme « socialiste non marxiste » s’en est pris avec virulence à la vision « dangereusement trompeuse » de Ta-Nehisi Coates, qualifié de « visage néolibéral de la lutte noire pour la liberté », rouvrant la polémique dans les colonnes du Guardian.
Rivalité pour le leadership
Selon Cornel West, le « fétichisme » de Coates pour le suprématisme blanc, érigé en pouvoir « tout-puissant, magique et immarcescible », empêche de se livrer à un examen critique du bilan de la présidence de Barack Obama. Il lui reproche d’éluder ce qu’il considère comme l’immobilisme du rapport de force social, la poursuite de la violence institutionnelle et la persistance d’un impérialisme américain au-delà des frontières des Etats-Unis pendant ces huit années.
La divergence entre les deux hommes masque mal une rivalité pour le leadership intellectuel noir. Une bataille aussi ancienne que la cause afro-américaine, comme en ont témoigné les attaques virulentes, à la fin du XIXe siècle, de W.E.B. Du Bois, premier Noir à obtenir un doctorat à Harvard, contre Booker T. Washington, ancien esclave et fondateur de la première école normale afro-américaine.
Les proches de Ta-Nehisi Coates ont développé cet argument, considérant que sa notoriété et son parcours d’autodidacte étaient de nature à froisser les clercs comme Cornel West, passé de Princeton à Harvard, et ceux qui préfèrent le patronage de figures disparues réputées pour leur radicalisme, de James Baldwin à Malcolm X, comme l’a noté l’essayiste Jelani Cobb. Ta-Nehisi Coates n’a pas montré à cette occasion un goût prononcé pour la bagarre : il a aussitôt fermé un compte Twitter en surchauffe.