Le président américain Donald Trump, le 5 février à Washington lors de son discours sur l’état de l’Union. / DOUG MILLS / AFP

Même s’il a prononcé son discours sur l’état de l’Union en position de faiblesse, après avoir perdu l’épreuve de force avec les démocrates sur le « shutdown », le président américain reste fortement soutenu par sa base, relève Corentin Sellin, spécialiste des Etats-Unis.

Mardi, Donald Trump a adopté un ton relativement rassembleur lors de son discours sur l’état de l’Union. Le président américain tente-t-il d’apaiser les tensions politiques actuelles à Washington ?

Corentin Sellin : Il existe un grand paradoxe dans ce discours sur l’état de l’Union. Indéniablement, il y a eu une tentative de rassemblement, notamment au début de son discours. En revanche, Donald Trump a été extrêmement dur, affirmatif et très clivant sur le fond. Il a passé une grande partie de son discours à réaffirmer ses positions sur les thèmes les plus à droite : la lutte contre l’immigration, la sécurisation de la frontière ou l’avortement. Son programme reste nationaliste, protectionniste sur l’économie et extrêmement conservateur moralement.

Selon un sondage réalisé par le Washington Post et la chaîne ABC, 56 % des personnes ont assuré en janvier qu’elles ne voteraient « certainement pas » pour Donald Trump en 2020, et 32 % de l’électorat républicain souhaite une autre candidature pour l’élection présidentielle. Comment expliquer une telle défiance ?

Donald Trump est, par essence, un président minoritaire, qui n’a été élu qu’avec 46 % du suffrage populaire en 2016. S’il a tenu jusqu’à présent, c’est grâce à une approbation record chez les républicains. Toutefois, avec ce long shutdown, sont apparues les premières fractures dans l’électorat républicain, dues notamment aux résultats des midterms [élections de mi-mandat], lors desquelles il a subi un désastre à la Chambre des représentants. Ce shutdown est également la plus grande défaite en politique intérieure de Donald Trump, ayant mis à mal à la fois sa capacité à négocier et son identité.

Avec une telle cote de popularité, Donald Trump pourrait-il devoir passer par une primaire républicaine pour être candidat à la présidentielle de 2020 ?

Donald Trump se trouve dans une situation qui rappelle énormément celle de Bill Clinton en 1995-1996. Comme le président actuel, il avait subi une défaite lors des midterms et sa cote de popularité ne dépassait pas les 40 % à mi-mandat. Des rumeurs disaient alors qu’il serait défié aux primaires. Or, on sait aujourd’hui que ces rumeurs provenaient en partie de son équipe, afin d’unifier le parti autour de Clinton. On peut donc se demander si ce n’est pas la même procédure qui est utilisée aujourd’hui, d’autant que le Parti républicain a récemment affirmé que Donald Trump serait son candidat en 2020, ce qui ferme la porte à un rival potentiel.

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A ce stade, peut-on imaginer que le président américain puisse briguer un second mandat malgré son faible score dans les sondages ?

Bien fou est, aujourd’hui, celui qui dirait que Donald Trump ne peut pas être réélu. Il a des chances de gagner, notamment grâce à son très bon bilan économique (plein-emploi, croissance très soutenue) même si certains disent qu’il n’est pas durable. Par ailleurs, même s’il est extrêmement impopulaire – entre 45 et 50 % des Américains le détestent – il possède une base électorale très solide qui pense qu’il est victime d’un complot des médias libéraux. Il faut savoir qu’entre un quart et un cinquième de l’électorat américain soutiendra Donald Trump quoi qu’il advienne. Avec le système du collège électoral aux Etats-Unis, qui ces dernières années a avantagé les républicains, cette base électorale solide et cette situation économique, on ne peut absolument pas exclure qu’il soit réélu en 2020.

Après avoir pris la tête de la nouvelle majorité démocrate, Nancy Pelosi continue de tenir tête à Donald Trump, l’ayant même forcé à repousser son discours sur l’état de l’Union. Représente-t-elle une menace pour le président américain ?

Elle ne représente pas une menace politique, mais un défi nouveau que Donald Trump n’arrive pas encore à appréhender. Pour la première fois, il se retrouve face à quelqu’un qui est capable de lui répondre et lui tenir tête. Une telle figure manquait énormément aux démocrates ces deux dernières années. Désormais, ils ont cette capacité de réponse face à Donald Trump et, pour l’instant, il n’a pas trouvé de moyens de la contourner.

De manière générale, quel bilan peut-on faire de la première moitié du mandat de Donald Trump ?

D’abord, Donald Trump tient scrupuleusement ses promesses. Il mène la politique nationaliste et protectionniste qu’il avait annoncée sur la scène internationale (retrait de l’Accord de Paris sur le climat, renégociation de l’Alena, menaces d’une sortie de l’OTAN, etc.). De plus, il défend une politique de réduction drastique de l’immigration légale et combat l’immigration clandestine. Il a mené une politique de dérégulation massive de l’économie et, même s’il n’est pas arrivé à faire abroger la loi Obamacare [sur l’assurance santé], il lui a porté des coups quasiment fatals. Toutefois, il reste le président d’une base très réduite et n’a pas réussi à étendre sa coalition électorale. Au contraire, une partie de son électorat décisif commence à se lasser du style Trump et de la mise en spectacle de sa présidence.

Immigration, mur, Venezuela : l’essentiel de ce que Donald Trump a dit pendant son discours sur l’état de l’Union
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