La Vendée s’organise pour « éviter la casse » après la fermeture annoncée des sites de Doux
La Vendée s’organise pour « éviter la casse » après la fermeture annoncée des sites de Doux
Par Charlotte Chabas (envoyée spéciale à Chantonnay, Vendée)
L’ex-numéro un européen du poulet devrait être placé en liquidation, mercredi, par le tribunal de commerce de Rennes. A L’Oie et à Chantonnay, 376 salariés et 75 éleveurs sont menacés. La « solidarité vendéenne » se met en place.
Le volailler Doux devrait être placé en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Rennes, mercredi 4 avril. / FRED TANNEAU / AFP
Entre deux averses, Marie Lebeau, 78 ans, s’est rendue à l’église, malgré sa sciatique qui la fait plus souffrir les jours d’humidité. Elle « y tenait », à déposer un cierge pour ses voisins, dont le père travaille depuis dix-huit ans à l’abattoir Doux de Chantonnay (Vendée). « Des gens bien, simples, honnêtes », résume l’agricultrice à la retraite, qui espérait encore « un miracle de la semaine pascale » pour sauver les 291 emplois du site, dont 122 intérimaires. En vain.
Les deux offres de reprise du volailler breton, celle du groupe ukrainien MHP et celle de dernière minute du français LDC, s’accordent sur ce point : il n’y a pas d’avenir pour l’abattoir vendéen. Pas plus que dans le couvoir voisin de Ballis, à L’Oie, qui compte 85 salariés. L’ancien numéro un européen du poulet devrait être placé en liquidation, mercredi 4 avril, par le tribunal de commerce de Rennes.
« Sentiment de gâchis »
Depuis plusieurs semaines déjà, le site vendéen, où sont abattus et congelés chaque jour 200 000 poulets destinés à être exportés au Moyen-Orient, bruissait de cette fermeture annoncée. Si le ballet des transporteurs venus décharger les caisses de volailles vivantes se poursuit devant l’usine, « à l’intérieur, le cœur n’y est plus », résume un des rares salariés qui prennent le temps de s’épancher à la sortie de l’équipe matinale. A côté, un petit groupe de Roumains, arrivés l’an passé en intérim sur le site, acquiesce. « C’est fini », ose l’un d’entre eux dans un français hésitant.
« On a un sentiment de gâchis », résume Pierre Thiébaut, 29 ans, intérimaire depuis septembre à l’accrochage des poulets. « Ici, il y avait du savoir-faire, des gens qui aiment leur métier, un vrai esprit de famille », dit le jeune homme, originaire de Bordeaux. Il en sait quelque chose, lui qui a accumulé les contrats et les boîtes ces dernières années. De l’abattoir Charal de la Châtaigneraie, à 30 kilomètres de là, il était parti avec fracas parce que « les conditions de travail étaient inhumaines, sans horaires fixes ».
Malgré les polémiques, et notamment une vidéo diffusée en 2017 par les militants de l’association écologiste L214 dénonçant les conditions d’élevage des poulets Doux en Vendée, « il y avait ici un grand respect ». C’est d’autant plus difficile de « se sentir la dernière roue du carrosse », dit-il, alors que Chantonnay est le seul abattoir condamné. Lui a décidé : il restera jusqu’au bout, bien que beaucoup d’intérimaires commencent déjà à chercher de nouvelles missions, promettant d’ultimes semaines de fonctionnement en sous-effectifs pour les salariés du site, qui devraient tous être reclassés.
« Solidarité vendéenne »
« On a la chance d’être dans une région où il y a du travail », se rassure le maire de Chantonnay, M. Villette. « Bien sûr, que c’est un coup dur pour la ville, mais la solidarité vendéenne fonctionne déjà à plein pour éviter la casse », affirme le premier magistrat de cette commune de 8 687 habitants. La coopérative Terrena, actuel propriétaire de Doux, a fait appel au cabinet de ressources humaines Altedia. Une cellule d’écoute fonctionne depuis le 19 mars.
« Dans le bocage, on se connaît tous et on se débrouille entre nous », confirme la députée de la 4e circonscription de la Vendée, Martine Leguille-Balloy. Ancienne avocate dans l’industrie agroalimentaire, la nouvelle élue La République en marche rappelle que « plusieurs fleurons régionaux ont dit qu’ils seraient là pour reprendre les salariés ». Parmi eux, La Boulangère, aux Herbiers, Maître Coq, à Saint-Fulgent, ou encore Ernest Soulard, à L’Oie. Tous dans un périmètre d’une trentaine de kilomètres, ce qui « devrait permettre aux salariés de ne pas trop subir », dit la députée.
Dans l’usine, la semaine passée, le directeur l’a d’ailleurs répété au « Coq info », la pause quotidienne de 7 h 30 où sont listés les objectifs de la journée. « Quoi qu’il arrive, personne ne sera laissé au bord de la route », a-t-il promis. « Ici, c’est simple : tant qu’on est prêt à se remonter les manches, il y aura du travail pour vous », résume le maire, Gérard Villette.
Le « traumatisme » de 2012
L’avenir semble pourtant plus difficile pour ceux dont le sort est lié à l’avenir de la seule filière avicole dans la région. Soixante-quinze éleveurs travaillaient exclusivement pour Doux, dans un système intégré qui leur fournissait poussins et nourriture.
« Le pire scénario, c’est d’avoir les poulaillers vides, et de voir les charges s’accumuler », confirme un éleveur voisin de l’usine, qui préfère taire son nom pour « éviter de se porter la poisse ». C’est qu’il est « encore traumatisé » par le dernier redressement judiciaire de Doux (et la liquidation de son pôle frais), qui date de 2012. A l’époque, le tribunal avait validé un plan de créances sur dix ans pour rembourser les impayés des éleveurs. « On me doit encore 18 000 euros, je peux pas faire sans », dit-il, lui qui a dû faire des investissements pour adapter ses bâtiments aux nouvelles demandes de Doux. « On va crever ici, si rien n’est fait », lance-t-il, amer.
« Hors de question que le scénario de 2012 se reproduise », prévient avec véhémence Joël Limouzin, président de la chambre d’agriculture de Vendée. « La continuité de Doux s’était faite sur le dos des éleveurs », rappelle l’ancien administrateur à la FNSEA. « Sur le pied de guerre », il négocie depuis plusieurs semaines avec tous les acteurs locaux « une enveloppe spécifique pour accompagner les éleveurs », alors que Terrena, qui se réorienterait vers la filière frais en s’associant avec le groupe français LDC, a déjà évoqué des besoins en poulets, dindes et canards. « Cela veut dire de nouveaux investissements pour les éleveurs qui devront adapter leurs bâtiments », prévient Joël Limouzin.
« Ce serait le renard dans le poulailler »
Prise en charge du vide sanitaire, remboursement des prêts, négociations avec les banques : « il faudra rentrer dans le détail et le concret des situations individuelles », reconnaît la députée Martine Leguille-Balloy, qui veut « faire le maximum pour qu’il n’y ait pas d’arrêt de la production ».
Vigilant, Jean-Paul Bénaiteau, président de l’association des producteurs Doux de Chantonnay, sera là pour « veiller au grain ». « Quand votre exploitation, c’est toute votre vie, vous ne vous contentez pas de belles promesses », dit-il au sortir d’une réunion avec les représentants de la région Pays de la Loire. « Il ne faut pas que les éleveurs se retrouvent isolés, à devoir négocier des contrats tirés à la baisse parce qu’ils ont la corde au cou », prévient-il.
Difficile pourtant d’anticiper avant le jugement du tribunal rennais, mercredi. Si Jean-Paul Bénaiteau se félicite de l’offre de reprise française du groupe LDC, il craint toujours que l’arbitrage se fasse en faveur de l’ukrainien MHP, dont l’offre de reprise ne concerne dans l’immédiat que 285 des 1 172 emplois en CDI. Ce serait aussi « un scénario catastrophe pour les éleveurs », prévient le président de l’association des producteurs Doux, craignant que « dans deux ans, toute la production soit rapatriée en Ukraine ». Et de résumer : « Ce serait laisser le renard entrer dans le poulailler. »
Doux en quelques chiffres
C’est le nombre de salariés travaillant chez Doux en contrat à durée indéterminée, à fin février, dont 922 en Bretagne et 250 en Vendée. La société employait également à cette date 67 personnes en CDD, et plusieurs centaines d’intérimaires.
Tel est le nombre d’éleveurs travaillant avec Doux. Sur ce total, 247 sont en contrat uniquement avec l’entreprise bretonne.
C’est le nombre actuel de sites du groupe. A Châteaulin se trouvent à la fois le siège et l’usine la plus importante. Les autres usines se trouvent à Quimper, Plouray, Bannalec, Chantonnay, et Essarts en Bocage. L’entreprise dispose aussi d’un couvoir et de fermes d’élevage à La Harmoye et L’Oie.
Tel est le nombre d’actionnaires actuels de Doux. La société est contrôlée par la coopérative agricole française Terrena, qui détient indirectement 57 % du capital. Les autres associés sont le groupe français Sofiprotéol (8 %) et le saoudien Al Munajem (35 %).