Marc Ribeiro, 34 ans, cheminot à la maoeuvre, devant la gare de Bordeaux, vendredi 23 mars. / Cécile Bouanchaud / Le Monde

Après deux heures à parler de son travail à la SNCF, Marc Ribeiro ne tient plus : « Je peux sortir fumer une clope ? », s’aventure le trentenaire à l’allure gouailleuse. « J’ai repris il y a trois jours », précise-t-il, tout en allumant sa cigarette, dos au vent et à la pluie bordelaise. Le « stress » consécutif à la grève perlée, qui débute mardi 3 avril, « a joué », tente d’expliquer le cheminot. « Ce n’est pas rien de consentir à perdre 400-500 euros par mois », sur une paye qui plafonne à 1 600 euros net par mois.

Si Marc Ribeiro, 34 ans, « a de l’argent de côté » et pas de famille à charge, ce n’est pas le cas de nombre de ses collègues « qui ne pourront pas se permettre de tenir la cadence de la grève », prévue pour s’échelonner sur trois mois.

Mardi, il ira « défendre le statut de cheminot », qu’il était si fier d’obtenir en septembre 2009, laissant derrière lui des années de précarité « à bosser en intérim comme cariste », en même temps qu’il donnait des cours de danse hip-hop.

« Un jour, je me suis dit : “Arrête tes conneries et cherche un métier qui te plaît », se souvient le jeune homme au physique râblé, qui s’était décidé à postuler après qu’un ami cheminot lui avait vanté son travail au sein de la SNCF. Restait encore à passer le long et épineux processus de recrutement interne.

Difficile recrutement

« C’est pire que Koh-Lanta », ironise Marc Ribeiro, qui évoque pêle-mêle « les mois d’attente entre les différentes épreuves », les tests de rapidité et de dextérité où « on ne garde que deux personnes sur quarante », les examens médicaux poussés avec dépistage de drogue et « les entretiens avec les psychologues qui te demandent si tu pleures parfois en rentrant chez toi ».

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A l’instar de tous les cheminots qui viennent d’être embauchés, Marc Ribeiro sera pendant un an à l’essai, avant de signer un CDI. En presque dix ans, il a officié à plusieurs postes au sein de la « manœuvre », dans un dépôt, à quelques kilomètres de la gare.

Là, il accroche les locomotives, indique aux conducteurs comment et où se garer pour partir sur la bonne voie, et vérifie que tout fonctionne à l’intérieur des trains.

« Le sentiment de mal faire »

« On est amené à travailler sur des plages horaires allant de 6 heures à 1 heure du matin, parfois sous la pluie ou sous la neige, avec les gants pleins de graisse », résume le cheminot, qui évoque les problèmes de santé liés aux conditions de travail difficiles. « Alors quand j’entends dire que notre statut est privilégié… »

Il a vu de nombreux collègues, plus âgés que lui, contraints de quitter leur poste parce qu’ils souffraient de problèmes de dos ou de diabète. « Avec nos horaires décalés, qui ne comprennent pas de pauses repas, on mange n’importe quand et n’importe comment. »

Quand les cheminots ne partent pas pour des raisons de santé, ils partent « parce que les postes sont supprimés », regrette le trentenaire, qui explique que, dans son service, il y a eu une division par près de trois des effectifs en trois ans.

« Même si j’essaie de faire au mieux, j’ai le sentiment de devoir mal faire mon travail. »

Après bientôt dix ans au sein de la compagnie ferroviaire, le jeune homme aux cheveux courts et au large sourire officie toujours à la réserve, un service où les horaires sont décidés quarante-huit heures avant la prise de service et peuvent changer à tout moment.

S’il donne à côté des cours de danse dans une association qu’il a montée, Marc Ribeiro ressent toujours ce « décalage avec les autres », ceux qui « peuvent avoir une vie sociale », quand lui ne bénéficie que d’un seul week-end de libre par mois.