Un policier muni d’un masque à gaz poursuit l’enquête sur les lieux de l’empoisonnement de l’ex agent double russe et de sa fille à Salisbury, le 4 avril. / HANNAH MCKAY / REUTERS

L’affaire Skripal a donné lieu à une nouvelle passe d’armes entre Londres et Moscou au cours d’une réunion du conseil exécutif de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), mercredi 4 avril. Soutenue par la Chine et l’Iran, la Russie a tenté, sans succès, de participer à l’enquête conduite par l’OIAC à la demande du Royaume-Uni sur l’empoisonnement au Novitchok de l’ex-agent double Sergueï Skripal et de sa fille Youlia, à Salisbury, dans le sud-ouest de l’Angleterre. Dès l’ouverture des débats à huis clos, la délégation britannique envoyait un tweet qualifiant la requête russe de « perverse » et dénonçant une « tactique de diversion ».

Quelques jours plus tôt, Moscou avait adressé une liste de treize questions à l’OIAC, interprétée par le Royaume-Uni comme une tentative de décrédibilisation de l’enquête, avant même la publication de ses résultats. Le délégué britannique au sein de l’organisation a accusé la Russie d’utiliser les mêmes procédés qu’au sujet des investigations portant sur les attaques chimiques du régime syrien, montrant, selon lui, que la Russie est « nerveuse ». Moscou demandait notamment des garanties sur la provenance des échantillons analysés.

Lors de la réunion de mercredi, le directeur de l’OIAC, Ahmed Uzumcu, a défendu le sérieux de l’enquête, précisant que ses équipes se sont rendues à Salisbury le 21 mars, et ont elles-mêmes prélevé des échantillons sur les lieux, puis effectué des prélèvements biomédicaux sur Sergueï et Youlia Skripal ainsi que sur Nick Bailey, le policier qui leur avait porté secours. Placés sous scellés, les échantillons ont ensuite été remis à l’un des laboratoires de l’OIAC à La Haye et sont toujours en cours d’analyse. Les résultats seront connus en début de semaine prochaine.

« Assassinats parrainés par l’Etat »

Le Royaume-Uni estime « fortement probable » que la Russie soit responsable de l’attaque, assurant qu’il n’y a « pas d’autre explication possible ». Non seulement parce que Moscou est capable de produire de telles substances, mais en raison du « bilan de la Russie en matière d’assassinats parrainés par l’Etat » et de « de notre évaluation selon laquelle la Russie considère les transfuges comme des cibles », a argué John Foggo, le délégué britannique à l’OIAC.

Londres attend toujours des réponses aux deux questions posées à Moscou : comment un agent neurotoxique développé par la Russie a-t-il été utilisé dans les rues de Salisbury ? La Russie a-t-elle perdu le contrôle de ses stocks ? Mais, a assuré M. Foggo, le gouvernement britannique n’a reçu que « sarcasme, mépris et défiance ». L’ambassadeur de la Russie aux Pays-Bas, Alexander Choulgine, rappelait, lui, que les victimes sont russes et que son pays à toutes les raisons de vouloir participer à l’enquête.

« Il est malheureusement impossible de savoir quelles installations militaires et quels pays sont capables d’en produire »

La veille de la réunion à l’OIAC, le directeur exécutif du laboratoire militaire de Porton Down, au Royaume-Uni, confirmait l’utilisation du Novitchok, rappelait que c’est un agent chimique de type militaire, mais déclarait ne pas être en mesure d’en déterminer la provenance. Depuis Ankara, en Turquie, Vladimir Poutine avait affirmé qu’une vingtaine de pays était capable de concevoir un tel poison.

« Il est malheureusement impossible de savoir quelles installations militaires et quels pays sont capables d’en produire », a déclaré le chef du laboratoire chimique du ministère de la défense russe, Igor Rybaltchenko, lors d’une conférence de presse à La Haye. « Il n’y a aucun doute que beaucoup de pays ont la capacité de produire de telles substances », ajoutait-il, jugeant que « la conclusion selon laquelle seule la Russie peut en produire est tout simplement absurde ».

Au cours de cette même conférence, le représentant russe auprès de l’OIAC, Alexander Choulgine rejetait aussi les accusations de Londres selon qui la Russie n’aurait pas déclaré à l’organisation la totalité de son stock d’armes chimiques, et de son « programme Novitchok ». En 2017, l’OIAC avait acté la destruction totale des armes déclarées par Moscou.

Depuis Ankara, Vladimir Poutine avait espéré que la réunion de l’OIAC mettrait un point final à cette affaire qui a provoqué une crise sans précédent entre Moscou et les pays occidentaux depuis la guerre froide, avec l’expulsion croisée de quelque 300 diplomates. Il semble pourtant que la tension soit remontée d’un cran.