Ce que l’on sait de Nasim Aghdam, auteure présumée de l’attaque du siège de YouTube
Ce que l’on sait de Nasim Aghdam, auteure présumée de l’attaque du siège de YouTube
Par Ghazal Golshiri (Téhéran, correspondance), William Audureau
Cette Iranienne de 39 ans parlait de véganisme dans ses vidéos sur la plate-forme de Google. La police californienne l’a identifiée comme l’auteure des tirs qui ont blessé trois personnes mardi.
Nasim Najafi Aghdam, dans une photographie diffusée par la police de San Bruno. / HANDOUT / REUTERS
Mardi 3 avril, trois personnes ont été blessées, dont l’une est dans une situation jugée sérieuse, dans une attaque à main armée au siège social de YouTube à San Bruno, en Californie (Etats-Unis). Nasim Aghdam, l’auteure présumée des coups de feu, s’est donné la mort sur place, selon les autorités. Son identité et ses griefs vis-à-vis de YouTube sont désormais au centre de l’attention.
Une Iranienne de 39 ans
Nasim Najafi Aghdam, de son nom complet, résidait à San Diego, en Californie. Elle est née dans la ville turcophone d’Oroumiyeh, dans le nord-ouest de l’Iran. Elle a également vécu en Turquie, avant de s’installer aux Etats-Unis, où elle résidait depuis une vingtaine d’années.
Issue de la communauté azérie, elle déclarait adhérer à la foi bahaïste, jeune religion humaniste et ésotérique d’inspiration chiite née en Iran, où ses fidèles sont désormais persécutés.
Le père de la tireuse, Ismail Aghdam, avait signalé la veille de l’attaque la disparition de sa fille, et dit avoir prévenu les forces de l’ordre qu’elle risquait de s’en prendre à YouTube. La police l’avait retrouvée en train de dormir dans un véhicule, mais n’avait pas jugé qu’elle constituait une menace. Elle a déclaré que sa famille n’avait « rien mentionné concernant de potentiels actes de violence ».
Quatre chaînes sur YouTube
Polyglotte, Nasim Aghdam gérait quatre chaînes YouTube en turc, en farsi (la principale langue d’Iran) et en anglais, qui ont toutes été fermées mardi soir par Google en raison de « graves violations » aux règles de la plate-forme. Sa chaîne anglophone comptait environ 5 000 abonnés pour un million de visionnages cumulés.
Ses vidéos allaient des conseils d’exercice physique aux parodies de chansons de Taylor Swift ou Justin Bieber. Quand elle ne faisait pas du sport dans ses vidéos, Nasim Aghdam prônait les vertus du végétarisme – elle se disait végane depuis 2009.
Nasim Aghdam, à droite, lors d’une manifestation contre les violences envers les animaux, à Oceanside, en Californie. / Charlie Neuman / AP
Particulièrement engagée contre la cruauté envers les animaux, elle dénonçait par exemple la corrida, la consommation d’ailerons de requin ou le commerce de la fourrure, et posait souvent en compagnie d’un lapin de compagnie.
Elle se signalait par une esthétique très marquée, faite de décors kitsch, de perruques et de costumes inattendus, entre excentricité personnelle et recherche désespérée d’audience. « La créativité et la bizarrerie de ses vidéos me font penser à Pablo Picasso », estimait de son côté, en 2016, un youtubeur turc, Yorekok, dans une vidéo sarcastique vue près d’un million de fois.
Une petite notoriété en Iran
Le caractère étrange des vidéos de Nasim Aghdam lui a valu une certaine notoriété en Iran à partir de 2010. Celle qui l’a rendue célèbre s’intitulait « Dokhtar-é sine badkonaki », soit « Fille aux seins en ballons », dans laquelle elle dénonçait la chirurgie esthétique.
Aussi connue sous le pseudonyme de Nasime Sabz, elle faisait l’objet de moqueries régulières sur les réseaux sociaux. « Je n’ai pas de maladie corporelle ni mentale, dit-elle dans l’une de ses vidéos, en réponse à de nombreux commentaires. Mais je vis sur une planète pleine d’anomalies, d’injustices et de déviances. »
Dans sa dernière vidéo publiée sur sa chaîne Telegram, la messagerie instantanée très populaire en Iran, Nasim Aghdam danse et chante, sans musique, contre les Etats-Unis, où « il est possible d’avoir des rapports sexuels à droite et à gauche », mais impossible de « dénoncer les grands business » dont elle-même se dit victime. La jeune femme affirme que l’Iran est meilleur que les Etats-Unis car « en Iran, on décapite avec la hache, mais ici, on le fait avec du coton » – une expression en persan qui signifie attaquer violemment son adversaire tout en gardant une apparence inoffensive.
Depuis la fusillade au siège de YouTube, la Toile iranienne est plongée dans une incompréhension totale. « Vous avez vous le destin de Nasim Aghdam ? C’est un drame que l’illusion [de la célébrité] peut provoquer chez les malades mentaux », écrit par exemple un utilisateur iranien sur Twitter.
« Contrariée » par la politique de YouTube
« Nous estimons que la suspecte était contrariée par les pratiques et politiques de YouTube. C’est le motif apparent » de l’attaque, a déclaré à l’Agence France-Presse Ed Barberini, le chef de la police de San Bruno. Nasim Aghdam s’était plainte en 2017 de ce qu’elle estimait être un cas de censure, après avoir vu l’audience de ses chaînes baisser. Elle déclarait dans une vidéo :
« Les gens comme moi ne sont pas bons pour les grosses industries, comme l’industrie des animaux, de la médecine, et plein d’autres. C’est pour ça qu’ils nous discriminent et nous censurent. C’est ce qu’ils font aux militants végans et à tant d’autres gens qui essayent de promouvoir un mode de vie sain, humain et intelligent. »
YouTube change régulièrement ses algorithmes ou le fonctionnement de son compteur de visionnage sans en informer ses créateurs, ce dont se plaignent fréquemment les vidéastes qui en vivent. L’entreprise peut également démonétiser une chaîne si elle juge son contenu inapproprié. Elle peut aussi lui imposer une limite d’âge, ce qui restreint sa visibilité.
Sur son site web, sous une citation d’Adolf Hitler et une mise en garde contre « les dictateurs qui existent dans tous les pays, mais avec des tactiques différentes », elle se plaignait en 2017 que « des employés YouTube étroits d’esprit aient mis une restriction d’âge [à une de ses vidéos], aient pris le contrôle de ma chaîne en farsi l’année dernière en 2016 et aient commencé à filtrer mes vidéos pour qu’elles aient moins de vues, les supprimer, et me décourager d’en faire ! ».
Mardi, après s’être entraînée dans un stand de tir, elle pénétrait à la mi-journée dans le campus de YouTube pour ouvrir le feu sur des employés avec un 9 mm enregistré à son nom, selon les déclarations de la police.