« Halte aux violences faites aux femmes » : le cri de résistance d’une Guinéenne de 18 ans
« Halte aux violences faites aux femmes » : le cri de résistance d’une Guinéenne de 18 ans
Par Sarah-Jane Fouda (chroniqueuse Le Monde Afrique)
Sur Facebook et dans la rue, Hadja Idrissa Bah dénonce les mutilations génitales, les mariages précoces, le harcèlement sexuel… et l’inaction des autorités.
Chronique. Hadja serait-il un prénom synonyme d’insoumission en Guinée ? Ce fut celui de Mafory Bangoura, militante de l’indépendance. Soixante ans après, c’est dans la lutte pour les droits des femmes que ce prénom de résistance vient nous rappeler sa charge symbolique. Un 8-Mars, sur Facebook, par la voix d’une Guinéenne de 18 ans à peine.
Sur le réseau social défilaient depuis le matin les folklores vides, mornes mais colorés de la Journée internationale des droits des femmes. Mi-Fête des mères, mi-Saint-Valentin, les posts de la matinée annonçaient la mascarade à suivre : des clichés de marches de femmes, vite suivis de selfies et autres preuves de l’allégresse féminine en Afrique. L’afrosphère aurait encore tourné en rond si elle n’avait été arrêtée nette par une injonction formulée dans deux vidéos, partagées 4 700 fois et qui ont cumulé 270 000 vues : « Halte aux VBG ! », pour « violences basées sur le genre ».
Au milieu de ses camarades, une jeune fille coiffée d’un foulard rouge demande que les textes visant à prévenir et à réprimer les violences faites aux femmes soient appliqués « ici et maintenant ». Ici, c’est en Guinée. Elle, c’est Hadja Idrissa Bah. D’un ton ferme, elle dénonce « les mutilations génitales, le mariage précoce, la violence domestique, la violence sexuelle, le harcèlement sexuel, la violence psychologique, les violences conjugales… »
Je l’appelle pour saisir les raisons de l’impératif. « On fait la fête, il paraît que tout va bien alors que c’est tout le contraire, explique-t-elle au téléphone. Regardez les statistiques, c’est nul ! »
« La honte doit changer de camp »
Selon l’enquête nationale sur les VBG, effectuée par le gouvernement et dont les résultats ont été commentés deux jours plus tôt à Conakry par trois ONG, 96 % des Guinéennes ont subi des mutilations génitales. Le pays occupe ainsi le deuxième rang au classement mondial derrière la Somalie. 63 % des unions sont des mariages forcés, 85 % des femmes ont subi des violences conjugales, 77 % des violences en milieu scolaire, 49 % des violences sexuelles… D’après les structures de prise en charge, l’année 2017 bat des records en matière de viols, maltraitances, harcèlement, séquestrations, coups et blessures…
Oui, c’est nul. Surtout, derrière les chiffres, il y a les histoires. Fin février, Aïcha Touré, 26 ans décédait après son accouchement. Pendant dix mois, la jeune mariée aurait été battue par son époux. Début décembre 2017, une adolescente de 14 ans a été violée à Conakry. Selon le site Guinéenews, le violeur aurait recouvré sa liberté après quelques heures de garde à vue, grâce à « un tonton dans l’armée ».
Des chiffres et des victimes, voilà ce qui a poussé Hadja et le Club des filles leaders de Guinée à sortir ce 8-Mars. « Il faut dénoncer les violences, c’est la seule manière d’arrêter ce cycle », scandait alors la jeune présidente d’association dans l’une de ses vidéos. Très exactement ce qui leur fut refusé ce jour-là.
Hadja Idrissa Bah: On a rien fais de mal pour être arrêtées 😡😡😡
Durée : 01:56
Le club organisait un carnaval « pour attirer l’attention de l’opinion publique sur la nécessité de lutter contre les violences que subissent les femmes et les jeunes filles », précisait la lettre transmise au gouverneur. Pour le coup d’envoi de 15 heures, les participantes et participants se rassemblèrent au Stade du 28-Septembre. Ce lieu où, neuf ans plus tôt, les troupes du capitaine Moussa Dadis Camara massacrèrent, selon les Nations unies, 156 personnes et violèrent 109 femmes, certaines ayant été emmenées de force dans des casernes puis réduites en esclavage sexuel pendant des jours.
« Filles d’aujourd’hui, femmes de demain » ; « La honte du viol doit changer de camp »…affichaient les pancartes. « Il y avait des filles, il y avait aussi des garçons », insiste Hadja au téléphone. Avec leurs slogans et leur fanfare, les jeunes gens préparaient le départ quand arriva un car de gendarmes. Les forces de l’ordre n’étaient pas venues escorter le cortège, comme on aurait pu le croire, mais le disperser à coups de gaz lacrymogènes. S’engagea alors une course-poursuite qui se termina pour les garçons « au poste », pour les filles dans les faubourgs de Conakry. Les vidéos, elles les ont tournées là, après la fuite. « Les femmes et les filles souffrent » et « on nous ignore complètement », s’indigne Hadja. Que lui répondre ?
« Un grand remaniement ministériel »
La Guinée a adhéré, adopté et ratifié la quasi-totalité des textes internationaux protégeant les droits fondamentaux des femmes. La Constitution consacre l’égalité entre les sexes ainsi que la non-violence. Pourtant, voici le discours que tint le président Alpha Condé lors de la Journée internationale des droits des femmes : « Aujourd’hui, j’ai commencé à écouter ce que nous appelons la majorité silencieuse : les femmes, les jeunes […] Quand j’aurai fini, je vais faire un grand remaniement ministériel et mettre des ministres qui sont à l’écoute des populations et qui s’occupent de leurs problèmes. » Autrement dit, écouter pour écouter encore… Face à l’urgence de la responsabilité, la gravité de la situation, un simple remaniement ministériel ? Faut-il faire « le gouvernement de l’écoute » pour qu’advienne celui de l’action ? Quand d’ailleurs ?
A l’instar des associations féminines et des militantes guinéennes, Hadja et ses camarades se battent pour rendre audibles ces voix que l’on refuse d’entendre. Les filles ont monté leur club il y a deux ans avec l’appui d’une marraine, Fatou Baldé Yansané, présidente de la Coalition des femmes leaders de Guinée. Mais Hadja a des années d’engagement citoyen derrière elle puisqu’elle siège au Parlement des enfants depuis ses 13 ans. L’initiative du club vient de là, autant que de la conscience d’être une fille, bientôt une femme, dans cette société guinéenne.
Dans son univers, Hadja est bonne à marier. Le mariage constitue souvent pour les parents le moyen de se débarrasser d’une fille « trop agitée ». Elle a une chance folle : un père commerçant qui la soutient dans ses combats, une mère femme de ménage qui l’encourage. Hadja la bien-nommée est leur fierté, elle est désormais aussi celle de milliers de personnes à travers l’Afrique et le monde.