L’industrie des objets connectés veut en finir avec « l’ère des gadgets »
L’industrie des objets connectés veut en finir avec « l’ère des gadgets »
Par William Audureau
Au Sido, le salon des objets connectés de Lyon, la smart city a remplacé brosses à dents intelligentes et godemichés 2.0. Mais les questions de vie privée et de sécurité demeurent.
La statue géante de l’homme au téléphone, en face de la Cité internationale de Lyon, prémices d’un futur ou la ville entière sera reliée à Internet ? / WILLIAM AUFUREAU / « Le Monde »
Brosse à dent, bouteille de vin, robinet, balle de golf, drone, sex toy ou encore cocotte minute : il y en avait autrefois de tous les genres, de toutes les couleurs, du plus professionnel, parfois, au plus incongru, souvent. C’était à Lyon, en avril 2015, à la première édition du Sido, le salon de l’internet des objets (IoT). Deux ans plus tard, le jeune congrès tient sa troisième édition les mercredi 4 et jeudi 5 avril à la Cité internationale, et le discours a bien changé : bye bye, les facéties de jeunesse, l’IoT se veut désormais une industrie respectable.
Brosse à dents, brassière, robinet... Les objets connectés, pour quoi faire ?
« On en a fini avec l’ère des objets connectés gadget, du tourisme technologique, et c’est tant mieux. Nous sommes maintenant dans l’ère des applications professionnelles sérieuses », clame ainsi Laurent Félix, du cabinet de conseil Wavestone, lors d’une table ronde. Pierre-Damien Berger, coordinateur des projets européens du Laboratoire d’électronique et de technologie de l’information (LETI) de Grenoble et secrétaire national du réseau « French Tech », évoque d’un ton rassurant des « marchés feu de paille qui sont derrière nous ».
Présentée en fanfare au milieu des années 2010, la première génération d’objets connectés avait été surtout remarquée pour leur utilité incertaine et leur caractère intrusif. Interrogé par Le Monde, Pierre-Damien Berger donne l’exemple d’une balance connectée mal conçue. « L’utilisateur envoyait des données sensibles comme son poids et sa masse dans le cloud, sans le savoir ni même en avoir un bénéfice. C’était une erreur du constructeur ». Des aberrations de conception qui pouvaient concerner des objets extrêmement intimes, comme des vibromasseurs.
Autre faille des premiers objets connectés : leur forte vulnérabilité aux attaques informatiques, un défaut bien loin d’être résolu. Pierre-Damien Berger évoque des erreurs liées aux balbutiements du marché. « Avant, il ne fallait surtout pas qu’il y ait de sécurité, en termes de retour sur investissement et de prix. Mais quand on travaille avec des acteurs comme l’armée ou l’industrie, le cahier des charges ne plaisante pas sur ces sujets, » jure-t-il. Et de fait, les nouveaux clients du monde de l’IoT sont d’un tout autre registre que les geeks curieux. Routes, chantiers, voies ferrées et immeubles connectés : voici leurs nouveaux axes de développement.
Le rêve du tout-interconnecté
Le dessin de la ville 2.0 a commencé à prendre forme dès 2017, année de livraison des premiers immeubles connectés. Cette année-là, la ville américaine de Columbus (Ohio) a également mis en place la première intersection automobile intelligente. De son côté, la SNCF a procédé depuis 2016 au déploiement de 20 000 capteurs sur ses rails et ses trains pour faciliter et accélérer leur maintenance.
Et ce n’est encore qu’un début : à l’image de la 5G, dont le déploiement doit commencer en France à partir de 2020, les infrastructures nécessaires à la « smart city » commencent seulement à voir le jour. Avec la généralisation d’une connexion ambiante à très haut débit, Lionel Rudant, responsable marketing stratégie du LETI, anticipe un monde dans lequel le contrôle à distance en temps réel deviendra la norme, par exemple pour piloter depuis un bureau, en réalité virtuelle, une machine de chantier.
Au Sido de Lyon, les godemichés connectés de 2016 ont laissé place à une approche plus pro, centrée sur la santé, la ville et l’industrie. / WILLIAM AUDUREAU / « Le Monde »
Le projet Telecom Infra Project, lancé en 2016 par Facebook, en collaboration avec Nokia, Intel ou encore Deutsch Telecom, réfléchit déjà aux plateformes ouvertes de demain, tandis que les satellites SpaceX, d’Elon Musk, et OneWeb, d’Airbus, doivent prendre leur envol cette année pour offrir de nouveaux points de couverture en très haut débit. L’avenir, estime Lionel Rudant, est non seulement au tout connecté, mais à l’interconnecté, à l’image de l’automobile, fer de lance de cette révolution :
« Toutes les voitures partagent en permanence leurs informations sur leur position ou leur vitesse. Dans un second temps, les véhicules partageront leurs infos de capteurs Lidar [technique de mesure à distance fondée sur l’analyse d’un faisceau de lumière renvoyé vers son émetteur, à la manière d’un radar]. Encore un peu plus loin, on partagera des intentions. L’ultime étape, c’est d’avoir de la coordination fine entre véhicules. »
« Il ne faut pas que ce soit intrusif »
La question des données reste toutefois centrale. D’un point de vue économique, d’abord. « La donnée est le nerf de la guerre, souligne Laurent Félix. Il y a de la data publique. Cette donnée est un bien commun. Et c’est à celui qui l’exploitera le mieux. » Mais aussi du point de vue de la protection des données et du respect de la vie privée, sur lequel l’industrie, souvent prise en défaut, promet avoir progressé.
« Dans le futur, tous les objets qui peuvent être connectés seront connectés », annonçait encore en 2015 Mario Campolargo, alors directeur de la division « réseaux du futur » au sein de la Commission européenne, en ouverture de l’événement. « On n’est pas sur le tout-équipé, mais sur le “équipé au bon endroit au bon moment”. La confiance est essentielle, il ne faut pas que ce soit intrusif », tempère aujourd’hui Vanessa Chocteau, directrice du programme « French iOt » de Docapost, qui travaille sur des immeubles connectés et une numérisation du carnet de santé.
Les données médicales, notamment, sont les plus sensibles. Pas question de les partager sans l’aval de leur propriétaire, jure Vanessa Chocteau, qui évoque une approche « privacy by design » (la protection de la vie privée est intégrée au cahier des charges), avant de nuancer :
« C’est un débat très clivant. Si cela aide la recherche médicale, sur des pathologies lourdes, que c’est encadré par les professionnels et que c’est pertinent, pourquoi ne pas vendre des données médicales ? Il faut regarder la question du sens. »
Point d’interrogation sur la sécurité
Quid, enfin, de l’adoption par les utilisateurs ? Pour Laurent Félix, il s’agit avant tout d’une question de mentalité et de vieilles résistances :
« Beaucoup de solutions sont aujourd’hui rejetées par la génération silver [c’est-à-dire les personnes âgées], ils n’ont pas grandi avec ça. La génération des aidants est la première à avoir grandi avec les smartphones et sera la première à avoir un avis. On est tous très partagés sur cette problématique. Il faut poser un cadre. »
Lui-même voit dans les immeubles connectés un intérêt non pas environnemental (le contrôle en continu de la consommation énergétique) mais sécuritaire (la possibilité de surveiller son logement par des portes d’entrées et des caméras connectées). Quant à l’industrie, elle peut trouver dans l’IoT un moyen de surveiller ses sous-traitants en temps réel, précise-t-il.
La question de la sécurité informatique, elle, n’a que rarement été abordée, alors que les tentatives d’intrusion de bâtiments équipés d’Internet (centrale, hôpital, etc.) se sont multipliés ces dernières années, et que l’on sait les voitures connectées piratables depuis 2015. Un problème dont l’industrie a bien conscience, promet Pierre-Damien Berger, qui met en avant le talent des ingénieurs français : « Les truands et les terroristes nous ont toujours habitués à trouver les failles, à nous d’être meilleurs qu’eux. »